Recueil de textes de Michel Tournier.
Chaque livre est un vampire qui se nourrit de ses lecteurs. « Si je savais ne pouvoir être publié, je n’écrirais rien. […] Oui, la vocation naturelle, irrépressible, du livre est centrifuge. Il est fait pour être publié, diffusé, lancé, acheté, lu. La fameuse tour d’ivoire de l’écrivain est en vérité une tour de lancement. On en revient toujours au lecteur, comme à l’indispensable collaborateur de l’écrivain. […] Un livre écrit, mais non lu, n’existe pas pleinement. » (p. 12) L’idée n’est pas nouvelle : la part du lecteur dans le processus de création littéraire de la fiction est essentielle. Michel Tournier est auteur, mais avant tout lecteur et il raconte comment il a été vampirisé par ses lectures. Ainsi, l’influence est double, réciproque : le texte nourrit son lecteur qui à son tour l’emplit de sa compréhension et de ses réflexions. « Nous disons donc qu’un livre a d’autant plus de valeur littéraire que les noces qu’il célèbre avec son lecteur sont plus heureuses et plus fécondes. » (p. 19) Avec Michel Tournier, tout paraît si évident. Sa thèse est brillante, très bien écrite et parfaitement logique, tout en étant accessible et encourageante. Nul doute que, comme moi, vous aurez envie de fourrer votre nez dans tous les livres que l’auteur évoque au fil des pages.
Il est question de mythes littéraires, de contes, de textes classiques et de pépites oubliées. On y trouve des réflexions sur la création, le génie, le travail de l’artiste. « Par le poème ou le roman, l’écrivain impose à l’adoration des foules ce qu’il y a dans sa vie de plus ardent, de plus intime, et peut-être de moins avouable. » (p. 169) Chaque chapitre peut se lire indépendamment des autres, mais s’enchaîne cependant parfaitement avec le précédent et annonce le suivant. Michel Tournier honore ses maîtres, dévoile des trésors et titille la curiosité.
Je ne peux pas citer tous les livres que Michel Tournier évoque, mais juste un mot : il parle tellement bien de Madame Bovary ! Flaubert, Stendhal, Zola, Vallès, tous ces grands qui l’ont et m’ont fait grandir, Tournier les évoque avec passion et érudition. « Je juge ces œuvres géniales en raison de l’effet d’élargissement, d’approfondissement, d’enrichissement, de libération que cette lecture exerce sur ma vision actuelle du monde. » (p. 27) Et Tournier lui-même est au nombre de ces immenses auteurs qui m’aident à vivre et à penser au quotidien. Et je ne cesse de lui être reconnaissante puisqu’il m’a donné envie de relire André Gide que je trouve poussiéreux et Jean-Paul Sartre qui m’ennuie si vite, d’ouvrir La montagne magique qui attend depuis trop longtemps ou de découvrir Jacques Lartigue, inconnu à mon bataillon. « Voir beau n’est d’ailleurs pas de tout repos, ni de tout bonheur. La beauté qui vous saute au visage et au cœur à chaque coin de rue vous blesse de façon inguérissable. » (p. 228) J’espère donc ne jamais guérir et rencontrer les textes cités par Michel Tournier. Que je sois vampirisée encore longtemps !