C’est l’effervescence dans la communauté hassidique de Nyesheve : le Rabbi Melech marie sa plus jeune fille, Sourele, avec Nahum, le fils d’un autre Rabbi. Mais le fiancé a à peine quinze ans et il n’éprouve aucune attirance pour sa lourde et lente promise. Le mariage n’est pas heureux et Nahum se consacre entièrement à l’étude du Talmud. Un jour, il croise le regard de braise de Malka, la très jeune et très jolie troisième épouse de son beau-père. Pauvre Rabbi Melech ! « Que lui restait-il au monde en dehors de… de sa femme ? Ses enfants étaient ses ennemis. Ils attardaient le jour de sa mort pour se partager l’héritage de son empire rabbinique. Aucune n’avait d’affection à lui donner. Mais elle… elle était si jeune, si belle. » (p. 79) Malka se livre tout entière à sa passion pour le jeune époux de sa belle-fille. Nahum tente de résister, mais comment repousser l’amour vrai quand il se présente ? Évidemment, les conséquences seront dramatiques et Nahum disparaît. Quinze ans plus tard, Yoshe arrive à Bialogora. Tout le monde le trouve bizarre, mais on le respecte quand même. « Yoshe ne disait rien. Ses lèvres remuaient, mais pour entonner des Psaumes. Jamais il n’arrêtait de dire des Psaumes, ni quand il allait en courses, ni quand il entretenait le poêle, ni quand il balayait la synagogue. » (p. 179) Voilà que la peste s’abat sur Bialogora : Yoshe est-il coupable ? Il reprend la route et son chemin s’achève à Nyesheve : est-ce Nahum qui est de retour ? Mais qui est Yoshe ? Qui est Nahum ? « Qui êtes-vous ? / Je ne sais pas. / Vous ne savez pas ? […] / Aucun homme ne sait qui il est, répondit l’étranger. » (p. 320)
Ce roman paru en 1933 est terriblement moderne, porté par un style fluide et riche. Le mariage n’est pas présenté comme un sacrement heureux et fertile, mais comme l’enchaînement de deux êtres pris au piège d’un serment presque arraché sous la contrainte. L’amour ne s’épanouit pas dans les liens maritaux, mais il survit coûte que coûte au temps et aux séparations. Il y a quelque chose du conte fantastique et de l’épisode biblique dans la disparition et le retour de Nahum/Yoshe. Le questionnement identitaire s’étend à la communauté juive dont les visages sont multiples, mélangés, superposés. La lecture de Yoshe le fou nourrit et fait exploser mon intérêt pour la culture juive et sa littérature. À suivre, donc, M. Singer !