Lecteur curieux, le jeune narrateur fait les vendanges en Bourgogne avec ses amis. Il lit beaucoup et il vit dans l’attente d’un lendemain inconnu. « De ce que nous ferons de notre vie, nous ne voulons rien savoir. Notre indifférence au réel n’a d’égale que notre attention passionnée aux images entrevues dans une lumière soudaine, qui est peut-être celle que diffusent les éclats troubles du vin bourru. » (p. 15 & 16) La jeunesse de ces garçons est éblouissante, leurs envies et leurs espoirs sont étourdissants. Comment croire que le futur ne sera pas radieux ? Mais ils sont peut-être trop impatients, trop avides de vivre, ces jeunes gens… « Cette soif brutale, à quelle source de vie pourrons-nous jamais l’étancher ? À quelle source de mort ? Et comment obtenir de l’aujourd’hui qu’il nous abreuve sans mesure de ce liquide inconnu dont nous rêvons de préserver la saveur incorruptible, au moment précis où nous entreprenons de la corrompre d’un mot, d’un geste ou d’un signe. » (p. 21) Les jours, les mois passent. Les espoirs s’effacent. Les fantasmes s’étiolent. En Algérie, il y a la guerre. Ici, il y a la vigne qu’il faut soigner toujours et avec constance pour qu’elle reste généreuse. Celui qui reste a charge de mémoire et charge de patience. Comprendre demande du temps. « J’aime le vin parce qu’il m’est étrange, parce qu’il m’est familier, parce qu’il est incompréhensible et fabuleux. J’aime le vin parce que je ne peux m’empêcher d’aimer les hommes. » (p. 23)
Comment ne pas sortir de cette lecture soulée de paysages et de vapeurs poétiques ? À force d’idées fugaces, presque insaisissables, le narrateur parle du souvenir et du silence, de ce que l’on garde au fond du cœur et que l’on ne sait pas dire, ou alors maladroitement. L’ivresse est-elle salutaire ? Pas ici. Dans ce texte, le vin n’est pas un abrutissement, c’est un art, une heureuse métamorphose. « Je n’ai pas trouvé la poésie dans le vin, mais le vin dans la poésie. » (p. 44) Le style de Jean-Claude Pirotte, que je découvre dans cet ouvrage posthume, est fait de touches verbales : cet impressionnisme littéraire est délicat tout en étant puissamment évocateur. Pas étonnant que la préface de Philippe Claudel soit si bouleversante : il y a des connexions certaines entre ces deux auteurs. La beauté dialogue entre leurs textes.
Dans ce court roman, j’aurais pu relever trois ou quatre citations par page. Alors que je relis ma chronique, je retiens cette phrase du roman qui résume si bien la vanité de dire, parfois. « Le silence, il me semble que j’avais pour tâche, en cherchant à le définir ou à le suggérer, de le détruire. » (p. 34)