Depuis qu’il a dû fermer son magasin de disques, Vernon Subutex vivote dans son petit appartement grâce aux prestations sociales et à l’aide financière d’un ami, Alex Bleach. Mais un jour, cette super star du rock indépendant français meurt. Pour Vernon, c’est l’expulsion. « Face à la débâcle, Vernon garde une ligne de conduite : il fait le mec qui ne remarque rien de particulier. Il a contemplé les choses s’affaisser au ralenti, puis l’effondrement s’est accéléré. Mais Vernon n’a cédé ni sur l’indifférence, ni sur l’élégance. » (p. 2) Commencent alors les plans couchage, les plans cul et les plans foireux : les potes étaient plus partants pour faire la fête, ils le sont beaucoup moins pour héberger une vieille connaissance qui part en sucette. Inexorablement, Vernon se rapproche de la rue. « Et Vernon s’était retrouvé dehors. Il parvenait là où son chemin le portait depuis des semaines. Il regrettait que la dégradation ne soit pas létale. » (p. 207) Alors qu’il est sur le point de s’effacer de l’écran conventionnel de la vie sociale, il est recherché par beaucoup de monde : tous en ont après les enregistrements inédits d’Alex Bleach qu’il a en sa possession. La lumière se fait sur les relations, entre les vraies amitiés et les poursuites intéressées.
Vernon Subutex est un dandy loser : de perte en déchéance, il garde étrangement la tête haute, comme inconscient de ce qui lui tombe sur la gueule. « Vernon n’a jamais eu suffisamment de suite dans les idées pour être vraiment déprimé. Ça l’a toujours sauvé. La gravité de sa situation ne parvient plus à l’intéresser. » (p. 57) Et pourtant, il en essuie des revers et des saloperies. Ses vieux amis meurent les uns après les autres : la drogue, l’alcool et la maladie fauchent ceux qui s’étaient crus invincibles, pétard au bec et gratte à la main. Au-delà du deuil, ce qu’il faut accepter, c’est la vieillesse qui s’installe. « Garder son charme en perdant sa jeunesse est un exercice qu’on voit rarement réussir. » (p. 146) Il a beau parader, Vernon avec sa belle gueule, il sait bien que cinquante ans, ce n’est plus la jeunesse. Et ça fait assez mal d’en prendre la pleine mesure. « Chaque souvenir est piégé. Une couverture qu’il avait gardée bien tirée sur l’angoisse glisse – la peau est mise en contact. » (p. 56)
Il y a beaucoup de sexe dans ce roman, mais ce n’est pas crade, pas comme dans d’autres romans de cette auteure qui m’avaient laissé un sentiment mitigé. Le cul n’est pas devenu noble, mais ce n’est plus un tabou qu’il faut démonter sans cesse pour le banaliser et lui faire perdre son odeur de soufre. Ici, on baise comme on respire, par habitude et par envie, parce que c’est possible et disponible, tout simplement. Homosexualité, transsexualité, travestissement, pornographie, partouze et autres, qui cela peut-il encore choquer après les années 1990 ? Ce qui surprend davantage, c’est l’explosion de la violence. Ou, moins que son explosion, son étalement. Tous les prétextes sont bons pour frapper, abîmer ou détruire : l’islamisation de la société, la paupérisation croissante des classes populaires, la maîtrise de son image… « Si je renonce à la violence, à quel moment je me sens maître ? Franchement, qui respecte le prolo docile ? » (p. 179)
Si Vernon Subutex intrigue et fascine, la pléthore de personnages secondaires est tout aussi étonnante. Émile, Xavier, Elsa, Marie-Ange, Laurent, Amélie, la Hyène, Sylvie, Lydia Bazooka, Gaëlle, Pamela Kant, Daniel, Selim, Aïcha, Cécile, Pascal et les autres sont tous plus ou moins déglingués, désabusés et désespérés. Chacun incarne une facette de la société, société qui ne va pas vraiment bien. Et c’est tout le talent de Virginie Despentes de le montrer sans tomber dans le misérabilisme et le pathétique.