Essai sous la direction d’Éric Bronson et William Irwin.
J’ai lu la trilogie Millenium depuis un certain temps. Moi qui ne suis pas friande de polars ou de thrillers, j’ai dévoré les trois romans, totalement fascinée par le personnage atypique de Lisbeth Salander, petit bout de femme tatoué et piercé qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. « Dans ces trois romans centrés sur la misogynie et la violence faite aux femmes, Salander, bisexuelle et punk, rejette les notions conventionnelles de genre et d’identité sexuelle. » (p. 43) J’ai vu et apprécié les différentes adaptations télévisuelles et cinématographiques de cette œuvre qui se prête très bien à l’image.
Dans cet ouvrage auquel ont contribué de nombreux penseurs et philosophes, je m’attendais à trouver une étude sur les grands thèmes des trois romans. Mais ce n’est pas tout à fait ça : les deux premières parties sont consacrées à une sorte de psychanalyse de Lisbeth Salander et de Mikael Blomkvist, les protagonistes de la trilogie. Je n’ai rien contre la discipline psychanalytique, mais je ne comprends pas l’intérêt de l’appliquer à des personnages fictionnels. Aussi complexes et travaillés qu’ils puissent être, ils restent des créations et c’est davantage l’auteur qu’il faudrait analyser (encore que…), les personnages n’étant qu’une expression de ses propres valeurs, de ses névroses et de sa psyché. En outre, bien que l’envers du décor soit fascinant, je préfère rester dans un certain mystère et qu’on ne me dise pas comment comprendre un personnage, qu’on ne me dépossède pas de l’image que j’ai créée. « En réalité, les personnages féminins de Larsson sont attirés par Blomkvist parce qu’il a réussi à trouver l’équilibre impossible entre respecter les femmes et les traiter comme de la merde. » (p. 58) Je m’arrête là sur cette analyse contre-analytique de comptoir et je passe au reste du texte.
Stieg Larsson a droit à sa petite analyse : démocrate, humaniste, combattant de toutes les discriminations, voilà un homme selon mon cœur. La trilogie Millenium offre une réflexion intéressante sur la lecture et le lecteur. Le pouvoir cathartique des trois romans est évident, même s’il s’accompagne d’un malaise certain. « Le polar est un moyen d’évasion. Les lecteurs vivent indirectement les frissons provoqués par les meurtres et résolvent le mystère en même temps que les héros. Je n’ai rien contre la lecture d’évasion. Si elle n’existait pas, énormément de fictions (y compris des genres comme la science-fiction, l’horreur et la fantasy) seraient remplacées par des textes réalistes, crus et éprouvants. Mais dans le cas des ‘Hommes qui n’aimaient pas les femmes’, peut-on encore parler d’évasion ? » (p. 131) Certains passages des romans sont à la limite du supportable, qu’il s’agisse de viol, de torture ou de vengeance. Mais en mettant en scène des personnages odieux et des actions infâmes, Stieg Larsson dénonce la société et la politique. « Quand les institutions ne se demandent pas si elles appliquent correctement la loi, elles tendent vers l’autoprotection, ce qui nécessite souvent de faire appliquer la loi de façon partiale et de refuser de reconnaître certaines parties. » (p. 159) Pour l’auteur, une institution déviante est de fait injuste et coupable, donc inapte et par conséquent illégitime. Pas étonnant finalement que l’on s’attache à Lisbeth et Mikael, deux héros anticonformistes, borderline, qui ne correspondent pas à la définition traditionnelle du héros : hackers, voleurs, violents et criminels à divers degrés, ils justifient en quelque sorte que l’on s’en prenne aux méchants.
Si je mets de côté son volet psychanalytique, cet ouvrage offre quelques pistes de réflexion intéressantes et donne surtout envie de relire la trilogie Millenium.
Les hommes qui n’aimaient pas les femmes – La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette – La reine dans le palais des courants d’air