Partout dans le monde, on s’interroge : comment est-il possible de voir la même lueur et d’entendre la même musique dans le ciel en deux endroits différents, mais à intervalle si rapproché ? « Nul doute que la lueur eût été observée en divers postes – successivement – dans le laps de quelques heures. Donc, ou elle était produite par plusieurs foyers, courant à travers l’atmosphère terrestre, ou, si elle n’était due qu’à un foyer unique, c’est que ce foyer pouvait se mouvoir avec une vitesse qui devait atteindre bien près de deux cents kilomètres à l’heure. » (p. 6) Et voilà, alors que le Weldon-Institute, club de Philadelphie, œuvre sur le plus gros aérostat jamais créé, qu’un dénommé Robur, ingénieur de son état, mais aux origines inconnues, vient provoquer les membres de cette honorable institution en affirmant que l’aérostat n’a pas d’avenir et que le progrès réside dans les aéronefs. Après ce terrible esclandre, Uncle Prudent et Phil Evans, respectivement président et secrétaire du Weldon-Institute, sont enlevés par Robur qui est bien déterminé à leur montrer la supériorité de sa théorie et de sa machine, L’Albatros. « Le progrès n’est point aux aérostats, citoyens ballonistes, il est aux appareils volants. L’oiseau vole, et ce n’est point un ballon, c’est une mécanique. » (p. 33) Appliquant la théorie du « plus lourd que l’air », Robur a créé un aéronef propulsé par des hélices et alimenté par l’énergie électrique. Emportés vers l’Ouest de l’Amérique, au-dessus du Pacifique, à travers l’Asie et l’Europe, puis au-dessus de l’Afrique et de l’Antarctique, Uncle Prudent et Phil Evans admirent les prouesses de la machine de Robur, mais sont bien décidés à échapper à leur geôlier. Mais l’ingénieur visionnaire n’est pas disposé à relâcher ses prisonniers.
Chose étrange dans un roman de Jules Verne, Robur est un personnage antipathique. Certes, l’Allemand des Cinq cent millions de la Bégum est un personnage détestable, mais il avait son double positif dans le Français qui bâtissait une ville de paix. Les deux hommes, au nom du progrès, s’opposaient admirablement. Ici, Robur est le chantre du progrès face à des hommes bons, mais dépassés puisqu’incapables de délaisser la montgolfière pour un appareil plus sophistiqué. L’ingénieur est un homme vindicatif et brusque, avec quelques sursauts de bonté, mais sont surtout dictés par la volonté de faire la preuve de la qualité de sa machine. « Ainsi Uncle Prudent et Phil Evans durent reconnaître de quelle puissance disposait un tel appareil, et quels services il pouvait rendre à l’humanité. » (p. 160) Comme Nemo (dans Vingt-mille lieues sous les mers, pas L’île mystérieuse), Robur est mystérieux et on ne sait rien de son passé. Or, le capitaine du Nautilus était un être froid, mais juste. Robur est plutôt un savant fou aux visions géniales, enragé que le monde ne progresse pas aussi vite qu’il le souhaiterait. Seule la fin sauve un peu le bonhomme et annule la vilaine impression selon laquelle Jules Verne avait mis le progrès entre de mauvaises mains.
L’aventure et le voyage restent extraordinaires et la description de la machine est passionnante. On voudrait être mécanicien pour encore mieux comprendre l’ampleur de cet appareil qui préfigure l’avion.