Texte de Marceline Loridan-Ivens. Co-écrit avec Judith Perrignon. Suivi d’un dossier d’Annette Wieviorka.
En mars 1944, à quinze ans, Marceline a été déportée à Birkenau. Son père, son très cher père, a été envoyé à Auschwitz. Hasard ou chance, il a réussi à lui faire passer une ultime lettre, quelques lignes perdues dans la mémoire de la narratrice. Des décennies plus tard, obsédée par le souvenir oublié de ce message, elle répond à son père. À son papa. « Ce mot est sorti de ma vie si tôt, qu’il me fait mal, je ne peux le dire que dans mon for intérieur, surtout pas l’articuler. Surtout pas l’écrire. » (p. 15) Shloïme Rosenberg est le seul à ne pas être revenu et son absence meurtrit toute la famille, épouse et enfants. C’est un non-sens, une injustice hurlante. Shloïme, dit Salomon en France, aimait ce pays. Il y avait acheté un petit château, à Bollène, pour loger les siens et tenter de s’enraciner dans cette terre qui ne l’a pas laissé faire. « Tu n’es pas mort pour la France. La France t’a envoyé vers la mort. Tu t’étais trompé sur elle. Pour le reste, tu avais vu juste. Je suis revenue. » (p. 51) Au prix d’une volonté farouche de survivre, Marceline est revenue. Mais ô combien blessée, pour toujours marquée, à jamais différente. « J’ai été quelqu’un de gai, tu sais, malgré ce qui nous est arrivé. Gaie à notre façon, pour se venger d’être triste et rire quand même. » (p. 7) De toutes ses forces, elle a tenté de vivre, surmontant la difficulté d’avoir échappé à la mort. Fallait-il revenir des camps, demande-t-elle à la fin de sa lettre ?
Entre épitre intime et témoignage, le récit à quatre mains de Marceline Loridan-Ivens et de Judith Perrignon est un texte bouleversant, comme tous ceux parlant de la Shoah et de la culpabilité du survivant. On sait la vie de Marceline après son retour de Birkenau et les terribles marches de la mort. Si elle prend la plume à 80 ans passés, ce n’est pas pour accuser, ni pour regretter, peut-être pour se soulager un peu et se préparer à rejoindre celui qu’elle n’a jamais cessé d’attendre. « T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur. » (p. 83)
Le dossier final d’Annette Wieviorka met en perspective le récit de Marceline avec la grande histoire. Cet élargissement du point de vue ne rend pas les choses plus supportables, mais leur donne une dimension supplémentaire. L’antisémitisme administratif ne laisse jamais d’horrifier et justifie plus que jamais le devoir de ne pas oublier. « Car la mémoire, bien qu’elle se réfère au passé, se vit toujours au présent. » (p. 122)
De Judith Perrignon, je vous conseille les très beaux L’intranquille et Victor Hugo vient de mourir.