« Les animaux souffrent-ils de la solitude ? Les autres animaux, j’entends. » (p. 16) Le mariage, le bébé, le quotidien, les ambitions qui s’éteignent, la routine qui ternit tout, l’infidélité. Voilà la vie de cette femme qui décide de prendre la plume pour s’adresser à cet époux qui lui échappe. « J’ai encore le cœur tordu. J’ai cru qu’aimer follement deux personnes le remettrait d’aplomb. » (p. 47) De souvenirs en citations littéraires en passant par des proverbes et des chansons, elle exprime sa rage, sa tristesse et ses déceptions. Piégée dans une vie de famille étriquée et dans un couple qui s’enlise, cette femme tente un dernier coup pour sauver son mariage et raviver ses rêves. « Même si le mari la quitte de cette façon affreuse, veule, il n’en est pas moins que toutes ces années de bonheur passées auprès de lui relèvent du miracle. » (p. 126) Tout cela constitue un patchwork d’idées hétéroclites. Il faut prendre de la hauteur pour voir l’harmonie de l’ensemble et comprendre l’étendue des interrogations de cette femme, à la fois sur elle-même en tant que mère et épouse, mais aussi sur le monde et ce qui lui échappe. Recoller les morceaux, recomposer la belle image des débuts, c’est une nécessité pour continuer à vivre. « Elle a renoncé par écrit au droit de s’autodétruire des années plus tôt. Lorsqu’elle a signé en pattes de mouche au bas de l’acte de naissance. » (p. 103)
Il y a des romans dont on attend beaucoup et qui, inexplicablement, nous déçoivent. C’est le cas du Bureau des spéculations de Jenny Offill. Je n’ai pas éprouvé la moindre empathie pour l’héroïne dont la représentation passe du « je » à « elle », ce qui introduit une distance malvenue. Certes, le lecteur perçoit ainsi mieux la détresse de cette femme à un moment charnière de son existence, mais cela coupe aussi les ponts avec elle. J’ai apprécié la fulgurance de certaines phrases et de certaines réflexions, comme des étoiles filantes dans la vie terne de cette femme. Et quel plaisir de croiser tant d’auteurs du monde entier, au détour d’une citation ou d’une idée. Mais pour l’héroïne bafouée, pas de compassion, que de l’ennui teinté d’agacement.