Le monde va mal. Depuis des millénaires, l’homme agonise entre guerres et génocides. Il crie vers le Seigneur, mais rarement, très rarement, ce dernier répond. « Comment pourraient-ils savoir où va la gloire de Dieu quand la pitié de celui-ci ne s’est jamais manifestée à eux aux heures les plus vides et esseulées de leur souffrance ? » (p. 18) De ce silence étourdissant, l’homme tire diverses conclusions. Soit qu’il n’est pas digne d’entendre la parole de Dieu. Soit que Dieu ne se préoccupe pas de lui. Soit que Dieu n’a pas les moyens de lui répondre favorablement. Soit que Dieu n’existe pas. « Ça suffit, ce silence a tant duré qu’il ne peut qu’être la preuve de l’inexistence de Dieu – la signature acide du néant. » (p. 21) Comme Job qui crie au désert, révolté et injuste dans ses adresses au Dieu muet, l’homme exige des réponses et des preuves au lieu de se laisser envahir par le silence qui est le témoignage absolu de l’amour du Seigneur.
Oser le silence, c’est oser la foi la plus pure. Accepter que le silence est à la fois la réponse et le message demande du courage, mais c’est ainsi que l’homme peut vraiment approcher Dieu. « Se risquer dans une voie qui consent au silence sans le sommer de se briser ; sans le clore sous vide définitif. Une voie de pure errance dans le désert en expansion dans ce silence même. » (p. 26) C’est dans un murmure que Dieu est le plus loquace. S’il se tait, c’est qu’il s’est retiré du monde qu’il a créé, qu’il l’a confié aux hommes et n’attend désormais que leur amour. Pas leur reconnaissance ou leur gratitude : seulement leur amour, sans déclaration enflammée, ni hauts faits d’armes. L’amour vrai se niche dans le silence. « C’est pourquoi, alors même que son Verbe s’est incarné et exprimé à voix d’homme vivant temporel, à voix d’homme souffrant, Dieu continue à s’évaser en silence tout autour de ce Verbe fait chair. » (p. 63) Finalement, quand les hommes se désespèrent d’entendre Dieu, c’est Dieu qui les écoute, non pas mutique, mais muet par amour. Et son silence dit beaucoup à celui qui prête l’oreille du cœur et de la foi, sans impatience ni exigence. « C’est pourquoi il faut indéfiniment se remettre à l’écoute du silence de Dieu, envers et malgré tout. » (p. 98)
Moins de cent pages d’une beauté profonde, d’une prose presque poétique et affolante, d’une voix vibrante, d’un message puissant. Moins de cent pages qui appellent au silence, à la méditation, à la contemplation, au voyage intérieur et spirituel. Moins de cent pages légères comme un soupir et fortes comme un coup de tonnerre. Nourrie d’extraits de la Bible, de poésies de Paul Celan, de textes de Simone Weil, d’Etty Hillesum, de William Shakespeare et de Thérèse de Lisieux, cette réflexion n’assène aucune réponse. Elle tente une interprétation du silence millénaire de Dieu. Sylvie Germain ne lit pas entre les lignes, mais entre les non-dits qui ne sont pas un refus de communiquer, mais une invitation à croire, à aimer et à progresser sur le chemin de la foi.
Je suis une nouvelle fois éblouie par la façon dont Sylvie Germain parle de la Bible et par la façon dont elle propose de la vivre aujourd’hui. Déjà, avec Mourir un peu, elle m’avait donné l’impression d’être une nouvelle figure parmi les pères de l’Église. Sentiment renouvelé ici avec cet appel au silence, à l’oraison intérieure et au cri d’amour muet. La dédicace aux sept moines de Notre-Dame de l’Atlas est appropriée et résonne longuement. J’ai récemment vu le film Des dieux et des hommes : la beauté et la valeur du silence ne sauraient être rompues par les cris de haine, seulement renforcées et rehaussées de gloire.
Quelques passages à lire et méditer pour finir.
« La terre, le vent, le ciel, les fleuves et les mers sont de vastes tombeaux où mugit la clameur d’un peuple indénombrable d’Abel inconsolés. Le peuple de Dieu unique. Et ce Dieu fait silence. Comment alors, sur fond d’un tel silence assourdissant les victimes peuvent-elles entendre ces Reproches adressés par Dieu à son peuple ? » (p. 17)
« Le psaume du silence, composé d’une multitude de mots de pourpre : sang et sueur de sang, et larmes de sang des victimes innombrables, ces roses de Rien, de Personne qui sans fin jonchent notre mémoire, écorchent notre conscience. » (p. 52)
« Car si sa toute-puissance le plaçait au premier rang des accusés, sa toute-impuissance ne vaut gère mieux qui le déclasse au dernier rang des incapables. » (p. 57)
« Ainsi font les humains résolument sourds au silence de Dieu et qui n’ont d’ouïe que pour les chants des sirènes, les beuglements des veaux d’or et les vociférations des petits dieux ventriloques. […] Pour tous ceux-là le silence de Dieu est une évidence, nullement une question ; une bonne aubaine, non un tourment. » (p. 64)
« Mais que peut-il bien écouter, Dieu, puisque rien ne se dit ? L’écho de son silence en l’homme, peut-être, l’accueil fait par l’homme à son souffle presque imperceptible. Dieu écoute Dieu du fond sans fond de son propre silence, dans l’obscure rumeur du sang des humains. » (p. 88)