Bellefleur

Roman de Joyce Carol Oates.

Tout commence quand Mahalaleel, superbe chat mystérieux, pénètre chez les Bellefleur par un terrible soir d’orage et est immédiatement adopté par la grande et superbe Leah. À moins que tout commence quand Jedediah Bellefleur, des générations plus tôt, s’est retiré sur la montagne pour ne plus assister au bonheur de son frère et de sa belle épouse. Ou peut-être que tout a commencé encore quelques générations avant, quand Louis XV a exilé un Bellefleur vers la toute nouvelle Amérique. « Les Belleleur ne se trouvaient pas sur cette terre pour être aimés, mais pour accomplir leur destinée. » (p. 569)

Dans ce roman foisonnant et dense, il y a une chambre qui rend fou et conduit à la mort, une fille mariée à un ours, des morts brutales, des disparitions inexpliquées, des démons dans les montagnes, des mariages tardifs et/ou scandaleux, un clavicorde au son hostile, des rats plein les murs et des parents qui se disputent l’affection de leur enfant. Dans le manoir des Bellefleur, grande maison en décrépitude, où plusieurs générations se côtoient sans cesse, des gamins galopent dans les couloirs et les chambres fermées. Les animaux prennent une importance démesurée dans les affections humaines : le chat Mahalaleel, le cheval Jupiter ou l’araignée Love sont des membres à part entière de la famille – adorés ou détestés –, et autant d’émissaires de mort ou de malheur.

Dans cette longue chronique familiale qui présente une généalogie chahutée au fil des chapitres, on assiste à la lente déchéance d’une lignée, avec parfois quelques sursauts de volonté pour racheter les terres perdues, restaurer la grande fortune passée et rétablir la puissance du clan. Mais tout semble déjà trop tard pour les Bellefleur : il y a des secrets terribles qui entachent l’héritage familial et seule la disparition, si possible dans un grand fracas, semble acceptable. Chez les Bellefleur, les hasards de la vie et de la mort ont quelque chose de la malédiction familiale, héréditaire et inéluctable. « Cette malédiction, disait-on, était très simple : les Bellefleur étaient destinés à être des Bellefleur, depuis le ventre de leur mère jusqu’au tombeau et au-delà. » (p. 47)

Les Bellefleur ont des caractères hors norme. « Selon la croyance générale, le ‘sang’ des Bellefleurs était porteur d’une certaine mélancolie fantasque, d’une tendance à l’énergie et à la passion qui pouvait être contrariée à tout moment par une terrible désolation, par une carence étrange de l’imagination. » (p. 6) Sans être monstrueux ou difformes, ils ont quelque chose en trop ou en moins qui les distingue inexorablement du commun des mortels. Et, inévitablement, les familles alentour les haïssent autant qu’elles les craignent et les respectent. « Elle n’avait accepté de se marier avec un Bellefleur qu’à la condition que (car des bruits insensés courraient dans le nord du pays !) certaines pièces du château ne fussent jamais ouvertes, et qu’on ne s’étendit jamais sur certains malheurs. » (p. 273)

Follement gothique, flirtant avec le fantastique, Bellefleur est une merveille littéraire qui m’a rappelé Mon cœur mis à nu de la même auteure, mais aussi Les Buddenbrook de Thomas Mann.

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