Charlie Gordon est un adulte attardé. Mais entre son emploi dans une boulangerie et les cours adaptés qu’il suit à l’université, il est heureux et entouré d’amis. Il accepte cependant de participer à une expérience scientifique pour améliorer son intelligence. Des résultats sont déjà concluants après les tests menés sur Algernon, une souris de laboratoire. « Après l’opérassion, je m’eforcerai d’être un telijen. De toutes mes forces. » (p. 11) À la suite d’une intervention sur son cerveau, Charlie fait des progrès stupéfiants. Il apprend vite et s’intéresse à tout. Rapidement, il maîtrise plusieurs langues et des sujets très complexes. « Je n’avais jamais senti avant que j’étais plus bête qu’une souris. » (p. 18) Hélas, il constate que les gens qu’il connaissait changent, deviennent méfiants et craignent sa nouvelle intelligence. Remontent également du passé des souvenirs oubliés : la mère de Charlie n’a jamais accepté que son fils soit différent. Charlie a parfaitement conscience de son handicap passé et remet en doute tous les liens qu’il avait noués, accusant les autres de s’être servis de lui. « Je suis aussi loin d’Alice avec mon Q.I. de 185, que je l’étais lorsque j’avais un Q.I. de 70. Et cette fois-ci, nous le savons tous les deux. » (p. 89) Incapable d’avoir des relations normales, Charlie est difficile à vivre. Et c’est pire quand il remarque qu’Algernon présente des signes de régression et de dégénérescence. Se sachant profondément lié à la souris, Charlie tente de comprendre en quoi l’expérience a échoué et comment l’améliorer, avant qu’il ne soit trop tard.
Pendant les premières pages, mes yeux ont saigné… Charlie tient le compte-rendu de ses progrès. Au début, il écrit sans maîtriser l’orthographe et la grammaire, ce qui donne des pages difficilement lisibles et supportables pour une grammar-nazie dans mon genre. Mais à mesure qu’il développe ses capacités intellectuelles, tout s’améliore, jusqu’à la fin où tout bascule à nouveau. Mais c’est un détail de forme. Le fond de ce roman est très réussi et formidablement émouvant. La prise de conscience de Charlie est troublante, même vue de l’extérieur. Les références à la Bible sont nombreuses et pertinentes. En accédant à la connaissance, Charlie perd l’innocence et la confiance qu’il accordait si facilement : désormais, il voit tout et comprend tout, ce qui le peine et entrave sa relation au monde. « L’intelligence et l’instruction qui ne sont pas tempérées par une chaleur humaine ne valent rien. » (p. 176) Quand il cherche enfin à échapper au laboratoire et à l’expérience, et aussi de sauver Algernon, il sait qu’il est à court de temps. Ses derniers comptes rendus sont poignants : il oublie en sachant qu’il a été intelligent, ce qui est bien plus douloureux que de ne rien savoir et ne pas en avoir conscience. « Il faut que je m’efforce de garder en moi un peu de ce que j’ai appris. Je vous en prie, mon Dieu, ne me retirez pas tout. » (p. 203) Si j’avais lu ce roman plus jeune, nul doute qu’il figurerait aujourd’hui parmi mes romans préférés au monde. Ce n’est pas le cas, mais cela reste une très belle lecture.