Épreuves non corrigées du roman de Julie Estève.
Antoine Corsini est mort. Cela secoue un peu le village corse où il a vécu. Pas beaucoup. Que restera-t-il de lui, l’idiot, le simple, le baoul ? Ses années de prison après avoir été condamné pour la mort de la jeune Florence Biancarelli ? Sa chaise à laquelle il parle beaucoup ? Son ami Magic, mutique mais toujours présent pour l’écouter ? Il faut plutôt écouter le monologue de cet homme bousculé depuis l’enfance, moqué et dont il est si facile de tirer profit, mais qui jamais ne se laisse aller à la haine ou au repli. « C’est pas parce qu’on est abîmé qu’on est plus bon à rien. » (p. 17) Dans ce village rural, reculé, presque isolé et coupé du monde, tout le monde se connaît et, d’une certaine façon, tout le monde se hait. « Vu que c’est étroit ici, tout le monde a une vengeance en tête avec un mort non élucidé. » (p. 27) Le meurtre non élucidé de Florence prend tout son sens quand on écoute le récit simple et plein de sagesse de l’idiot. Sans le savoir, le pauvre Antoine a toujours eu la preuve de son innocence et celle de la culpabilité de tout un village.
J’avais beaucoup apprécié le premier roman de Julie Estève, Moro-Sphinx, où il était également question de solitude et de détresse. Ici, l’autrice dépeint une terrible et sordide tragédie d’amour, d’autant plus insupportable que plusieurs cœurs purs sont piétinés. D’autant plus atroce que l’innocence d’âme et de fait est sacrifiée à la mesquinerie collective. Cependant, l’immédiateté du récit d’Antoine, sans fard ni mensonge, est comme un baume, car le lecteur sait qu’il ne lit pas une confession. Ce roman me rappelle un autre Simple, celui de Marie-Aude Murail, ô combien plus lumineux, mais qui porte un regard tendre sur les rejetés et les différents, ceux qui ne collent pas au modèle et sont donc d’autant plus précieux.