Kansas, un été étouffant. Hayley se prépare à un tournoi de golf qui peut décider de son avenir. Tommy est plus que jamais obsédé par la jolie Tessa. Norma se consacre entièrement au concours de beauté auquel doit participer sa fille. La rencontre entre ces trois personnages doit beaucoup au hasard et sans doute autant à la malchance : à croire qu’il est préférable de se faire renverser par une voiture, parfois. Tandis qu’une tornade se précipite sur le Kansas, un ogre rôde dans l’obscurité, prêt à se repaître des innocences qui osent s’aventurer la nuit dans les rangs de maïs. « Les gamins, on les dévorait dans les champs à la nuit tombée. Les gamins, on les faisait hurler derrière les portes closes. » (p. 158) Et enfin, il y a Helena : arrêtez de la chercher, elle est partout à force d’être absente.
Ce second roman de Jérémy Fel ressemble à s’y méprendre, dans certains chapitres, à du Stephen King et à du Joyce Carol Oates. « Tommy savait que la créature vivait quelque part au-dehors, attendant patiemment le moment où elle pourrait définitivement lui voler son âme. Et qu’elle ne repartirait qu’en l’ayant piétinée, digérée. » (p. 90) Comme ces deux monuments de la littérature américaine, l’auteur français maîtrise l’art de la narration poisseuse et pesante, ce qui sert avec brio son propos. On est dans du gore jouissif, et beaucoup de fluides corporels sont répandus. « Pour se débarrasser du monstre, il fallait le frapper en plein cœur. » (p. 474) Par certains aspects, ce roman m’a rappelé Alex de Pierre Lemaitre, ou quand les victimes sont coupables et vice-versa…
Grâce à Helena, personnage en creux qui cristallise toutes les douleurs de ce long roman, Jérémy Fel rend un puissant hommage aux mères poules, aux mères louves, aux mères dragons. « Tu sais, une mère se trompe rarement sur le potentiel de ses enfants. » (p. 60) Ce que je retiens surtout de cet excellent texte, c’est la puissance de l’imagination, et sa frontière ténue avec le réel. Du fantasme le plus suave au cauchemar le plus douloureux, le cerveau humain cherche toujours à s’échapper d’un quotidien terne ou d’un épisode insupportable. Et l’auteur a parfaitement rendu ce nécessaire besoin de fuir, d’oublier, de dissimuler. Je vous conseille également son premier roman, Les loups à leur porte, tout aussi excellent !