Texte de Pierre Gazio.
Pierre Gazio vit au Caire depuis des années. C’est une ville qu’il connaît – mieux, qu’il comprend. Pour en proposer un aperçu – forcément partiel et partial –, c’est par le métro qu’il propose au lecteur d’arpenter la cité égyptienne. Il en montre son fort caractère religieux, musulman évidemment, mais aussi chrétien : Le Caire abrite plusieurs fois qui s’entendent du mieux qu’elles peuvent et s’accommodent d’une promiscuité souvent incontournable. Mais au-delà de la religion et même sous les voiles que certains imposent, la ville est moderne, bigarrée et bruyante. Et c’est sous terre qu’elle se fait frondeuse et que les amours illicites peuvent se vivre. « Ce peuple si conservateur, voire si réactionnaire sur le chapitre des mœurs, fait preuve d’une indifférence bien proche de la tolérance lorsqu’il vit sous la terre. […] C’est dans le métro que l’espoir luit. » (p. 47) Pierre Gazio parle aussi de ses relations avec des Cairotes, des différences entre eux et lui, mais aussi de tout ce qui les rapproche, notamment le merveilleux métropolitain, importation européenne qui fait plus que faciliter les déplacements géographiques. Il permet un certain mélange des classes, voire une éphémère élévation sociale. « Le métro a permis au bas peuple d’accéder à la félicité sans pareille de partager les mêmes trottoirs que les bourgeois polyglottes et les étrangers résidents. » (p. 9)
Devant la beauté antique gâchée par l’urbanisme galopant et anarchique, Pierre Gazio discerne encore des touches de délicatesse et des panoramas dignes d’être peints. « Ce que j’ai préféré, c’est la vision par-dessus le mur d’enceinte, d’une lessive multicolore séchant à un balcon si proche qu’il semblait faire partie du palais. » (p. 42) Hélas, la ville est profondément marquée par des stigmates politiques du 20e siècle et par la toute récente révolution manquée du pays. Et il suffit de s’engouffrer dans le métro pour aller à rebours de l’histoire du pays, au gré des noms des stations ou des évènements qui se sont déroulés à proximité. Plus qu’un carnet de voyage, c’est un périple dans le temps qu’offre l’auteur, toujours avec bienveillance envers cette ville qu’il aime, mais aussi avec une pointe d’humour délicieuse. « Pour un peuple qui compte parmi les premiers à avoir conçu la vie après la mort, il n’y a rien d’extraordinaire à croire qu’au-delà du terminus de la ligne Hélouan – El Marg, existe une station de métro. » (p. 163)
Moi qui ne connais que l’enfer du métro parisien (que ceux qui parlent de moments de grâce empruntent la ligne 13 un lundi matin à 8 heures…), je rêve maintenant de découvrir Le Caire avec pour seul guide touristique l’ouvrage de Pierre Gazio. De station en station, en déambulant dans les rues où il achète des délices locales et où il rencontre ses amis, je suis certaine qu’il est possible d’apercevoir la vérité authentique de cette ville mythique. Mais sans doute me faudrait-il plus d’un ticket et plus d’un voyage pour en faire le tour. « Tant de stations m’attendent dont j’ignore jusqu’au nom ou qui n’en ont pas encore parce qu’elles n’existeront que dans deux ou trois ans. Pour explorer l’en-dessous, l’en-dessous du Caire, il me faudrait quelque chose qui ressemble à l’éternité. » (p. 191)