Roman de Margaret Atwood.
Elizabeth est mariée avec Nate, mais elle a une liaison avec Chris. Nate a une liaison avec Martha. Chris se suicide. Lesje et William sont en couple, mais Lesje a une liaison avec Nate. Elizabeth a des liaisons avec beaucoup d’hommes. Nate sait que sa femme le trompe. Elizabeth sait avec qui son mari la trompe. Cependant, ils restent mariés parce qu’ils ont des filles et qu’aucun ne supporterait d’en être séparé.
La chronologie de ces évènements est malmenée tout au long du roman, alors suivez bien les titres des chapitres. Moi qui apprécie beaucoup les textes de Margaret Atwood, notamment C’est le cœur qui lâche en dernier où l’adultère est traité sur un mode burlesque tout à fait approprié, j’ai ici été très désappointée. Ce roman est profondément désespéré et lourd. L’insatisfaction est générale, tous les personnages se sentant piégés à des degrés divers, dans des situations diverses, par leur passé ou leurs peurs. Même l’humour est aussi désagréable qu’une craie qui raye un tableau : certes, cela brise l’immobilisme, mais on souhaite y échapper sans délai pour retrouver la torpeur.
L’adultère n’est pas honteux, mais il reste pesant. Il ne provoque pas d’exaltation et il est moins transgressif et passionnel qu’hygiénique. Il est même raisonnable et fait l’objet d’accord au sein du couple principal : que chacun batifole autant qu’il l’entend, mais qu’il ne porte jamais atteinte à l’équilibre des enfants. Cela est-il durable ? Pas certain… Margaret Atwood porte un regard féroce sur le couple et l’amour à l’ère contemporaine, à une période de grands bouleversements politiques, quand des élections portent René Lévesque à la tête du Québec en 1976. Et elle oppose aux misérables atermoiements du cœur la disparition de géants paléolithiques qui ne vivent plus que dans des musées. Déprimant, je vous ai prévenus !
Je vous laisse avec des extraits de ce roman, pour que vous vous fassiez une idée.
« Il entre dans la chambre, brisant le fil invisible qu’elle tend ordinairement en travers du seuil, pour le maintenir au-dehors. » (p. 9)
« Elle déteste que l’on détienne un pouvoir sur elle. Nate ne possède pas ce genre de pouvoir. Il ne l’a jamais eu. Elle l’a épousé facilement, comme on met une chaussure. » (p. 21)
« Le sable coule dans son corps en sablier, depuis sa tête jusqu’à ses pieds. Quand tout aura coulé, elle sera morte. Enterrée vivante. Pourquoi attendre ? » (p. 101)
« Je suis une adulte, et je refuse de me considérer comme la seule somme de mon passé. Je puis faire des choix et en subir les conséquences, même si elles diffèrent parfois de ce que j’avais imaginé. Cela ne signifie pas que je doive aimer cela. » (p. 111)
« Il va téléphoner à Lesje, la revoir. Il ne la reverra pas. Il est le roi des cons, il a tout gâché, elle ne voudra jamais la revoir. Il faut absolument qu’il la revoie. » (p. 151)
« Je crois à la nécessité de demeurer civilisés dans ce genre d’affaires. » (p. 165)
« Avant, il voulait être protégé. Il voulait une femme qui fût une porte qu’il pouvait franchir et refermer derrière lui. Tout avait été parfait tant qu’elle avait bien voulu faire semblant d’être une cage, Nate une souris et son cœur un fromage. » (p. 183)
« Pourquoi se battre pour Elizabeth quand elle sait visiblement fort bien choisir ce qu’elle veut ? Et l’a déjà fait. » (p. 198)
« Si Lesje vit avec un type révélant un tel mauvais goût dans le choix de ses cravates, elle ne vaut vraiment pas la peine d’être vaincue. » (p. 206)
« Dans le cours normal des choses, elle serait indifférente à cette liaison. Elle ne se sent nullement comme le chien du jardinier : si elle n’a pas envie de tel ou tel os, ceux qui en veulent peuvent bien le prendre. » (p. 231)
« Je veux sentir que je vis avec toi. […] Pas avec toi et ta femme et tes enfants. » (p. 274)