Roman de Sorj Chalandon.
« J’étais le luthier de Paris, le silencieux, celui qui vient ici pour partager le temps. » (p. 7) Antoine s’est pris d’affection pour l’Irlande et d’amitié pour quelques habitants de Belfast. Le 9 avril 1977, il rencontre son traître : il s’appelle Tyrone Meehan. Il est membre de l’IRA et devient plus qu’un ami, plus qu’un frère pour Antoine. Il est presque un père. Mais Tyrone est aussi un traître. Traître à l’Armée républicaine, traître à l’Irlande catholique, traître à Bobby Sands, traître aux grèves de la faim, traître aux bombes artisanales, mais surtout traître à Antoine qui perd plus qu’un ami. « Mon Irlande avait suivi mon traître. Il l’avait capturée, emmenée avec lui en exil. » (p. 106) La félonie est révélée en 2006, 9 ans après que l’IRA a déposé les armes et ouvert un processus de paix avec le gouvernement britannique. 25 ans au service des Anglais qui sont bien difficiles, voire impossibles à pardonner. « Je n’étais pas triste de lui. Je n’étais pas triste de nous. J’étais triste de moi. Triste de n’avoir rien vu, rien entendu, rien senti. J’étais triste de ma somnolence, triste de mon affection, triste de mes certitudes. J’étais triste de chacun de mes gestes pour lui. » (p. 125)
Contrairement au Petit Bonzi et à Une promesse, ce roman de Sorj Chalandon n’a pas ému mon cœur intime, mais mon cœur citoyen. Je comprends qu’Antoine se soit épris de l’Irlande et de son combat, de ses habitants et de leur colère. « Je ressemblais à l’un d’eux, à force, sans le vouloir, sans faire exprès, sans rien changer à mon attitude. Je retrouvais en moi quelque chose qui sommeillait depuis toujours. Quelque chose de moi sans que je le soupçonne. » (p. 35) La longue guerre qui a déchiré le pays est d’autant plus révoltante quand elle s’incarne en des êtres qui se donnent entièrement à la cause alors que d’autres lui tournent le dos. Alors comment comprendre la traîtrise ? Comment l’excuser ? Mais aussi, comment blâmer ceux qui ont beaucoup donné et qui finalement renoncent ? « Quel était l’homme qui m’enlaçait ? Un traître ne peut pas regarder sa terre comme cela. Il ne peut pas aimer sa terre comme ça. » (p. 86) Mon traître remue les tripes, fait serrer les poings et trembler les paupières. C’est un magnifique roman.