Grace

Roman de Paul Lynch.

La famine ravage l’Irlande. Pour sauver sa fille et soulager la famille, Sarah la chasse de la maison. « Tu dois te chercher un emploi et travailler comme un homme. » (p. 18) Grace n’a pas 10 ans et la voilà seule sur les routes du pays, déguisée en garçon, se joignant à moins pauvre qu’elle pour quelque temps, dormant dans des masures abandonnées, avec pour seuls biens une couverture, un couteau et un instinct de préservation hors du commun. Pendant des années qui passent comme un souffle, mais avec des hivers qui semblent durer des éternités, Grace se réinvente, se renouvelle, voire se ressuscite en avançant avec obstination sur le long chemin qui la conduit à elle-même.

Je n’en dis pas davantage, mais ce roman mérite toute votre attention. Grace est un personnage complexe, double par bien des aspects. Parfois aussi légère qu’un brin de paille emporté par le vent, parfois aussi lourde que la boue d’Irlande qui colle aux bottes, elle survit à tout, semblant traverser mille ans. Quant à la plume de Paul Lynch, elle est de celle qui marque pour longtemps : dense et généreuse, poétique et étourdissante, la langue employée par l’auteur convoque la puissance des légendes irlandaises.

Quelques extraits pour vous mettre en appétit.

« J’ai basculé hors de ma propre vie. Je me suis perdue moi-même, et je suis aussi abrutie que ces bêtes. » (p. 63)

« Elle s’est enfoncée plus avant dans les profondeurs du monde, a passé des jours sans nom sur des routes sans nom qui méandrent en boucles infinies. » (p. 98)

« C’est donc cela la liberté. Pouvoir disparaître de la surface de la terre sans que quiconque s’en aperçoive. La liberté, c’est ton âme dans le vide de la nuit. C’est ce noir aussi vaste que ce qui retient les étoiles et tout ce qu’elles dominent, et qui pourtant semble n’être rien, n’a ni fin ni commencement et pas non plus de centre. Les leurres du plein jour nous font croire que ce que voient nos yeux est bien la vérité, mais la seule chose vraie, c’est que nous sommes des somnambules. Nous cheminons à travers une nuit de ténèbres et de chaos, qui jamais en nous livre sa vérité. » (p. 126)

« Ce qui se passe ressemble parfaitement à la fin du monde, la seule différence, c’est que les riches continueront à vivre sans souffrir. Les dieux nous ont abandonnés, voilà mon idée de la situation. Et le temps est venu que chacun devienne son propre dieu. » (p. 167)

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