La poétesse est une autiste qui n’a jamais parlé ni appris à lire. Mais un jour, elle a montré qu’elle savait écrire. À l’aide de lettres cartonnées qu’elle aligne sur des feuilles blanches, elle compose des textes qui interrogent sur les limites. Dans la préface, le metteur en scène Pierre Meunier salue un talent original et quasi miraculeux. « Sauvés de la confusion par son effort de nous les transmettre, ils surgissent, animés de la force vitale propre aux rescapés. » (p. 7)
« Poète sans papiers, sans origines littéraires, sans règles sociales. » (p. 12) C’est ainsi que Babouillec se présente. Elle joue avec la langue, voire la langue étrangère, avec la mise en page, avec la casse. Avec les mots tout simplement. Elle parle de l’enfermement en soi-même, de la bataille pour se libérer, de la nécessité évidente de ne pas correspondre aux normes sociales, de l’identité. « Je tue mes démons silencieux dans les tentatives singulières des sorties éphémères de ma boîte crânienne. » (p. 11) Avec un lexique immense, Babouillec porte un regard précis sur la société et la course du monde. Elle exprime aussi un humour très fin et impertinent, une moquerie douce et éclairée, mais qui tend parfois à la raillerie quand l’agacement prend le dessus. Elle noue à ses paroles des références littéraires, filmiques ou musicales : elle les distille l’air de rien, ce qui est la preuve d’un esprit ouvert au monde, curieux et avide, et qui intègre tout ce qu’elle touche pour le faire sien.
J’aime les textes des êtres qui battent le validisme en brèche. Ils dégagent une vérité brute et immédiate, ils délivrent un sens évident. Cette lecture me permet de vous conseiller le lumineux témoignage de Thomas Mandil, La joie de vivre ma vie. Mais bon, soyons honnêtes, résumer ou analyser de la poésie, c’est franchement impossible et tout à fait couillon. On ne condense pas l’émotion pure, on la ressent. Je vous laisse avec des extraits de chacun des textes de cet ouvrage.
Algorithme éponyme
« Nous devons dès la naissance apprendre à compter sur nos propres ressources pour marcher dans le système préétabli du développement de la personne sociale intégrée. » (p. 39)
« Mourir n’est pas de mise / Grandir dans la peur du jugement / Nous immobilise. » (p. 43)
« Nous mécanisons rituellement des gestes sociaux nécessaires à notre intégration dans l’establishment. » (p. 48)
« Rêver d’être une boîte de cornichons posée sur une étagère et attendre que quelqu’un s’intéresse à toi pour changer d’étagère why not ? » (p. 59)
Raison et acte dans la douleur du silence
« L’autisme n’est pas une jungle mais un désert édulcoré. Je le sillonne chaque jour pour trouver la sortie. » (p. 67)
« Être autiste, c’est affronter l’hostilité. Notre intelligence humaine nous aide à survivre. Nous humanisons la vie élitiste en écrivant notre amour roué par les coups de l’ignorance. » (p. 74)
Je, ou Autopsie du vivant
« Soyons désinvoltes n’ayons peur de rien, effaçons les empreintes de ce corps étranger en lui donnant un nom d’éprouvette à classer. Autiste, c’est l’appellation contrôlée de mon image « photoshopée » dans mes absences temporelles. » (p. 104)
« J’accepte de me battre contre ce moi déconnant aux yeux du monde. J’accepte de me battre pour ce moi déconnant aux yeux du monde. Mais, je refuse de me battre pour les yeux du monde. » (p. 108)
« J’invite les faiseurs de règles à réfléchir aux actes organiques déviant le sens social. » (p. 114)