J’ai récemment lu avec grand plaisir le premier roman pour adultes de Stéphane Malandrin, Le Mangeur de livres. Et c’est avec enthousiasme que l’auteur a proposé que nous organisions un jeu de questions-réponses.
Comment est née cette histoire de Mangeur de livres ?
Il y a dix ans environ je me suis lancé dans l’écriture d’un roman dont l’histoire se situait à Vienne, à l’époque de Beethoven, parce je voulais faire un livre sur lui, une fiction, quelque chose qui raconte sa fougue, son impétuosité, ses débordements, sa modernité, sa voracité, et en construisant mon personnage principal — qui n’était pas Beethoven, mais quelqu’un dans son entourage très proche — je me suis dit qu’il lui fallait un ancêtre, un ancêtre très lointain, un ancêtre qui vienne du moyen-âge, et qui ait la même impétuosité, la même fougue, la même voracité, et tout en inventant cet ancêtre j’ai commencé à dériver sans m’en rendre compte, j’ai écrit, écrit, écrit, et quand j’ai relevé la tête, je n’étais plus à Vienne à l’époque de Beethoven, j’étais à Lisbonne, juste avant la diffusion de l’imprimerie, juste avant la grande traversée de Christophe Colomb, et j’étais pris par une histoire que je n’arrivais plus à lâcher. En fait, le roman initial faisait plus de 500 pages et mélangeait les deux époques, Vienne et Lisbonne, XIXe et XVe siècle, le lecteur passait de l’une à l’autre sans comprendre pourquoi, il y avait deux romans enchâssés l’un dans l’autre, mais c’était trop. À un moment, il a fallu que je choisisse. J’ai donc gardé le XVe siècle, et j’ai suivi mon nouveau personnage, qui est devenu ce Mangeur de livres. Mais un jour je finirai l’autre livre, mon livre sur Beethoven ! Il est encore en écriture !
On dit souvent que votre livre est « rabelaisien ». Qu’en pensez-vous ?
Je ne me suis pas levé un matin en me disant : « tiens je vais faire un truc rabelaisien ». Non : je suis parti de Beethoven, et mon errance, mes erreurs, mes échecs, mes ratages, mes découragements, mes brouillons jetés, mes pages déchirées m’ont conduit à Rabelais — et pour cela, d’ailleurs, vive les échecs ! Vive les errances ! On ne se perd jamais assez ! Pour être honnête, je ne connaissais pas Rabelais, je le connaissais à travers mes études de seconde et de première, mais je n’y étais jamais retourné. En écrivant sur le XVe siècle, j’ai lu Pantagruel et Gargantua pour la première fois, et — c’est un peu étrange — mais j’ai retrouvé chez Rabelais ce que j’aime chez Beethoven. Ils sont libres, tous les deux ; ils inventent une forme, tous les deux ; ils n’ont peur de rien, tous les deux ; leur œuvre diffuse une énergie vitale et joyeuse qui irradie leur art, tous les deux ; ils sont drôles, ils débordent de partout, en longueur, en intensité, ils sont généreux, ils sont physiques, sensuels et ils n’ont pas peur des excès — ils sont modernes. Flaubert dit de Rabelais que c’est la « grande fontaine des lettres françaises ». J’ai eu envie de me baigner en lui, parce que j’aime la langue française, que je la trouve vitale, optimiste, gaie, j’aime la richesse de sa syntaxe, son vocabulaire inépuisable, et je déteste la nov-langue, la langue de la « start-up nation », la langue du win-win et de tout ce gloubi-boulga gestionnaire de process et de team-building qui nous rétrécit l’esprit et qu’on essaye pourtant de nous vendre comme un truc sensass.
C’est un livre qui parle de notre époque alors ?
J’espère ! Pour moi, Le Mangeur de livres est une sorte de manifeste pour dire que notre langue, la langue française, est vivante, et qu’on n’a jamais fini d’entendre sa joie. Moi le français, ça me rend joyeux. La langue est joyeuse. Il faut la célébrer comme un trésor. C’est un grand feu de joie qui nous nourrit, qui nous réchauffe. Au diable les dépressifs ! Faisons la fête avec notre langue, elle déborde de vitalité !
Crédit photo : Hermance Triay
Vos livres jeunesse semblent faire la part belle à la fantaisie. En passant à la littérature générale, était-il évident de conserver cette fantaisie, même en la noircissant ?
Oui, c’est vrai, il y a de la noirceur dans Le Mangeur de livres, parce qu’à la fin — sans gâcher la lecture de ceux qui ne connaissent pas le livre — le monde des adultes pourchasse le Mangeur et veut sa mort. Mais ce n’est pas à moi d’interpréter ce qui se dit là, je ne veux pas fermer le sens, et je préfère laisser libre à chacun le soin d’interpréter le livre comme il le veut. Je suis toujours heureux d’en discuter. Vous pouvez me dire quelle est votre opinion en la matière, puisque ce blog est fait pour ça. Alors c’est moi qui pose la question : pourquoi le Mangeur est-il pourchassé et condamné à mort ? À votre avis ? Pourquoi est-ce la violence qui clôt son périple ?
(L’interviewé qui interroge l’intervieweur, l’arrosé qui arrose l’arroseur, le mangé qui mange le mangeur, mais où va-t-on ?) La violence est là à la fin du roman parce qu’elle était présente au début. Elle a été à l’origine du parcours du mangeur de livre, vécue par sa mère qui sans aucun doute la lui a versée dans le sang, comme on renverse un encrier qui va imprégner le buvard. Il en fallait très peu pour que cette violence se mette à couler, comme d’une plaie ouverte.
Vous êtes également scénariste et réalisateur. Le Mangeur de livres aurait-il sa place sur grand écran ? Avec quels acteurs ?
Je ne sais pas. Je n’ai pas écrit ce livre pour en faire un film, ce n’était pas mon intention. Mais si quelqu’un m’appelle pour me dire qu’il veut en faire un film, je l’écouterai bien sagement.
Quels sont vos prochains projets littéraires ? Retour à la jeunesse ou poursuite en littérature générale ?
Je vais vous donner un scoop littéraire. Les aventures d’Adar Cardoso et Faustino da Silva, mes deux personnages du Mangeur de livres, ne font que commencer. Je veux écrire la suite ; d’ailleurs je suis en train d’écrire la suite. Car leur histoire ne peut pas s’arrêter là. Elle doit continuer. Le Mangeur de livres ne peut pas s’en tirer si facilement. Il y aura un volume 2 et peut-être un volume 3 qui nous conduira à Vienne au XIXe siècle, au temps de Beethoven. Si les lectrices et les lecteurs me le permettent. Car j’ai besoin de leur soutien.
Vous autres lecteurs, je ne sais pas, mais moi, je serai au rendez-vous !
Je termine avec une annonce.
Le 7 juin, à 18h30, j’aurai la chance d’animer une rencontre avec Stéphane Malandrin dans la librairie Place Ronde à Lille.