Après s’être trouvée brusquement coupée du monde par une paroi invisible au-delà laquelle tout semble pétrifié, la narratrice organise sa survie et son quotidien en compagnie de quelques animaux domestiques. Au cœur de la forêt et des montagnes autrichiennes, elle doit s’accommoder de la solitude. « J’observe que je n’ai pas écrit mon nom. Je l’avais donc presque oublié et je n’y changerai rien. Puisqu’il n’y a plus personne pour prononcer mon nom, il n’existe plus. » (p. 32) S’imposant des tâches rudes et répétitives, la femme s’adapte au rythme des saisons et s’efforce de rester occupée pour ne pas se laisser aller au désespoir, même s’il n’y a rien à espérer. « Si le temps n’existe que dans ma tête, et si je suis le dernier humain, il finira avec moi. Cette pensée me rend joyeuse. Il est peut-être en mon pouvoir de tuer le temps. » (p. 161)
La narratrice commence à écrire après plusieurs années de routine, se fondant sur ses souvenirs et sur ses notes dans le calendrier. Il ne s’agit pas de laisser une trace puisqu’elle se sait définitivement seule, mais de lutter contre la folie. « M’obliger à écrire me semble le seul moyen de ne pas perdre la raison. Je n’ai personne ici qui puisse réfléchir à ma place ou prendre soin de moi. » (p. 8) Fortement marquée par la perte de plusieurs de ses compagnons animaux, elle hésite entre la mort rapide et la volonté farouche de continuer encore un jour, encore une saison. Son texte ne s’adresse qu’à elle et qu’à son hypothétique avenir. « Ce qui importe c’est d’écrire et puisqu’il n’y a plus de conversation possible, je dois m’efforcer de continuer ce monologue sans fin. » (p. 143)
La robinsonnade féminine de Marlen Haushofer m’a beaucoup rappelé le plus récent Dans la forêt de Jean Hegland, mais aussi Moi qui n’ai pas connu les hommes, de Jacqueline Harpman. J’aime beaucoup quand le féminin est confronté à la nature : il en ressort quelque chose de très fort, un principe de vie renouvelé. Julian Roman Pölsler a adapté Le mur invisible en film et ma bibliothèque municipale a le bon goût d’avoir cette œuvre dans son catalogue. Prem’s, je l’ai déjà réservé !