Walter est un gamin plus ou moins orphelin qui grandit en canaille dans les rues de Saint-Louis. En 1927, sa rencontre avec maître Yehudi change sa vie. « Si je ne t’ai pas appris à voler pour ton treizième anniversaire, tu pourras me couper la tête à la hache. » (p. 8) Commence alors pour Walter une initiation cruelle au terme de laquelle il finira par décoller du sol. Sillonnant l’Amérique d’avant la Grande Crise, l’enfant et le maître donnent des représentations époustouflantes. Leur succès suscite malheureusement et inévitablement des jalousies et des doutes. « Faire ce que je pouvais faire bouleversait toutes les lois. Ça contredisait la science, ça désavouait la logique et le sens commun, ça réduisait en miettes une centaine de théories, et plutôt que de modifier les règles en fonction de mon numéro, les pontes et les professeurs décidèrent que je trichais. » (p. 205) Il n’y a pas pourtant aucun truc, mais ce n’est pas ça qui cause la perte de Walt et de maître Yehudi. Les décennies passent sur l’Amérique et l’ancien prodige va de reconversion en désillusion. Finalement, même s’il ne vole plus, il n’arrive jamais à reprendre pied parmi ses congénères. « Ce don était la marque d’une destinée particulière, il me séparait des autres pour le restant de ma vie. » (p. 75)
Quel plaisir que ce roman de Paul Auster, auteur que j’apprécie tant et qui, pour une fois, abandonne ses sujets de prédilection pour une histoire qui, si elle est plus légère, n’en est pas moins grave. Le héros traverse le 20e siècle et gagne en dérision ce qu’il perd en illusion. La douce magie de la lévitation laisse place aux boulets de la cruelle réalité. L’attaque du Ku Klux Klan au début du roman est un premier coup porté à l’innocence. Mr Vertigo m’a fait tourner la tête et a enchanté mon cœur.