Oona et Salinger

Texte de Frédéric Beigbeder.

En 1940, J. D. Salinger rencontre Oona O’Neill. Lui n’a encore rien publié. Elle est la fille du très célèbre dramaturge Eugene O’Neill (dont je suis tellement admirative, mais c’est un autre sujet) et gaspille son argent dans des soirées trop arrosées. Il a 21 ans, elle en a 16. Il tombe immédiatement et durablement amoureux, mais elle se lasse rapidement. Leur amour n’est jamais consommé et s’achève quand Salinger s’engage pour combattre en Europe. Arrivée sur la côte Ouest, Oona fait des débuts vite achevés au cinéma et épouse Charlie Chaplin, de 36 ans son aîné. Séparés par l’Atlantique et par la guerre, les anciens tourtereaux vivent sous des flashes différents, ceux des bombes et ceux d’Hollywood. Finalement, ce qui est ici raconté, c’est ce qui suit une non-histoire d’amour.

Contrairement à tant de lecteurs, je n’ai pas apprécié L’attrape-cœurs et je préfère de très loin les nouvelles de J. D. Salinger. Par ailleurs, j’ai cessé de lire Frédéric Beigbeder depuis plusieurs années, notamment parce que son recours maniaque et creux au name-dropping m’insupporte. De fait, lire Beigbeder qui écrit sur Salinger, c’était un peu du masochisme… Son cynisme et sa désinvolture sonnent faux, mais pas sa condescendance de « vieux con » si j’ose dire. « Voyez, jeunes lectrices, que le passé sert à quelque chose. » (p. 39) En écrivant sur un autre auteur, Frédéric Beigbeder se regarde écrire, se morfond sur la société moderne, s’accable de vieillir, fustige l’inconstance de la jeunesse.

Je retiens tout de même son talent pour raconter une histoire sur laquelle il n’y avait rien à dire. Plus que combler les blancs, il les a coloriés et bariolés parce que la fiction est parfois plus vraie que la réalité. Je retiens quelques jolies phrases, mais je doute vraiment de jamais rouvrir un livre de cet auteur…

« Quand elle souriait, deux fossettes se creusaient dans ses joues, et l’on se disait qu’au fond, la vie était presque supportable à condition d’avoir toujours les yeux brillants. » (p. 27)

« Il n’est pas sorcier d’imaginer ce qu’il pensait : « Mais qu’est-ce qu’elle a de plus que les autres, cette fille ? Pourquoi sa tête de souris m’inspire-t-elle comme ça ? Pourquoi est-ce que j’adore instantanément ses sourcils et sa tristesse ? Pourquoi je me sens si con et si bien à ses côtés ? Qu’est-ce que j’attends pour lui prendre la main et l’emmener loin d’ici ? » (p. 35)

« L’amour est plus beau quand il est impossible, l’amour le plus absolu n’est jamais réciproque. Mais le coup de foudre existe, il a lieu tous les jours, à chaque arrêt d’autobus, entre des personnes qui n’osent pas se parler. Les êtres qui s’aiment le plus sont ceux qui ne s’aimeront jamais. » (p. 46)

« L’amour sait faire semblant de s’en foutre alors qu’on ne s’en fout pas. C’est se chercher sans se trouver. Ce petit jeu, s’il est bien pratiqué, peut occuper toute une vie. » (p. 62)

« Embrasser la fille qu’on vénère le plus au monde est une victoire, mais si la fille vomit juste après, comment faut-il le prendre ? » (p. 67)

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