L’attrape-coeurs

Roman de J. D. Salinger.

J’ai commencé ce livre deux fois et deux fois l’ai abandonné. Après la lecture des Nouvelles de l’auteur et tout le plaisir qu’elles m’ont procuré, j’ai décidé de tenter ma chance une troisième fois. Dernier essai réussi ? En partie.

« Je ne vais pas vous défiler ma complète autobiographie. Je veux juste vous raconter ce truc dingue qui m’est arrivé l’année dernière vers le Noël avant que je sois pas mal esquinté et obligé de venir ici pour me retaper. » (p. 9) Ainsi commence le récit d’Holden Caufield, dix-sept ans, élève au collège Pencey en Pennsylvanie. Renvoyé de l’établissement trois jours avant les fêtes de fin d’année, Holden quitte l’école de nuit et erre pendant trois jours à New York. « Je devais me planquer deux ou trois jours dans un hôtel pour pas rentrer à la maison avant le début des vacances. » (p. 77) Pendant trois jours qui glissent comme un songe ou un brouillard, il fait des rencontres étonnantes ou inquiétantes, tire de fabuleux plans sur la comète, mais reste un gamin anxieux à la santé fragile qui n’a nulle autre part où aller que chez lui. On a le sentiment qu’Holden ne tient pas vraiment au monde : « Je possède vraiment rien que ça m’ennuierait vachement de perdre il me semble. » (p. 112) Et pourtant, la conclusion prouve qu’il tient à quelque chose.

La solitude à laquelle condamne la cité new-yorkaise le ronge et lui inspire les plus funestes pensées : « De quoi foutre le bourdon, et de temps en temps, en marchant, sans raison spéciale, on avait la chair de poule. On pouvait pas se figurer que Noël viendrait bientôt. On pouvait pas se figurer qu’il y aurait encore quelque chose qui viendrait. » (p. 145) Étrange et douloureux de constater un tel désarroi chez un adolescent. La maturité dont il fait preuve me semble artificielle et projetée par l’auteur sur son héros.

Par bribe, on découvre la famille du jeune Holden. Il a une petite sœur, Phoebé, qu’il aime et admire. Il a perdu un de ses frères, Allie, et l’aîné, D.B., « il est à Hollywood, il se prostitue » (p. 10) Ainsi comprend-on l’aversion du héros pour le cinéma et le théâtre. Plus généralement, il exprime des sentiments violents envers la mièvrerie des films. Sans jouer au caïd ou à l’intello, ce dont il se sait incapable, et sans renier sa sensibilité, il préfère la puissance des romans de Karen Blixen, Ernest Hemingway ou Francis Fitzgerald.

Profondément triste voire désespéré, Holden trimballe son mal de vivre et sa solitude à travers les nuits enneigées de New York. Avec une sensibilité à fleur de peau et une pensée vagabonde, il perd pied dans un monde où il n’est, somme toute, qu’un enfant qui voudrait être pris au sérieux. Doté d’un esprit cinglant et capable de réparties bien trop cyniques pour son âge, il revendique les expériences d’une génération à laquelle il n’appartient pas. En dépit des fumées de cigarettes, des vapeurs d’alcool et du désir de femme qui parfois le taraude, son indépendance n’est pas encore acquise et toute son attitude est celle d’un être qui sait ne pas être à sa place, mais qui refuse de partir.

Vaguement amoureux d’une voisine, Jane Gallagher, et vaguement entreprenant avec une autre gamine, Sally Hayes, Holden Caufield témoigne de son intérêt pour les filles et la sexualité. Très sensible au charme féminin, il se fait poète sans le savoir : « Quand elle arrive au rendez-vous, si une fille a une allure folle, qui va se plaindre qu’elle est en retard ? Personne. » (p. 153) Criant, n’est-ce pas ? Un peu trop pour un gamin.

« Je suis le plus fieffé menteur que vous ayez jamais rencontré. » (p. 27) Disant cela, il est parfaitement honnête et il donne la pleine mesure de ses capacités tout au long du récit. Saisi de frénésie, il débite à toute allure des histoires abracadabrantes au premier venu. À ses mensonges et à ses exagérations s’ajoutent des digressions folles qui perdent le récit dans des détails a priori inutiles, mais qui constituent les murs du petit monde d’Holden. Et comme il le dit lui-même, « moi j’aime bien quand on s’écarte du sujet. C’est plus intéressant. » (p. 220) Étrangement, le récit s’achève sur un reniement : « Faut jamais rien raconter à personne. Si on le fait, tout le monde se met à vous manquer. » (p. 253) Là encore, si la conclusion trouve écho en moi, je la trouve inadaptée sous la plume d’un prétendue jeune de dix-sept ans.

Cette troisième lecture est loin d’avoir été aussi déplaisante que les deux premières. Mais je ne peux me défaire du sentiment que ce livre intervient trop tard dans mon parcours de lectrice. Adolescente, peut-être aurais-je été touchée par ce récit. Peut-être aurais-je compris ce désarroi si grand. Aujourd’hui adulte (hum…) et quelque peu oublieuse des douleurs exacerbées de mes quinze ans, il me semble que le texte sonne faux. Toutefois, j’ai été moins gênée par l’expression du jeune héros : cette langue gouailleuse de gosse de riche qui se cherche m’a plutôt convaincue, même si les fautes de langage m’ont fait bondir… Je suis enfin venue à bout de ce roman dont on a tant parlé. Je ne rallie pas les rangs des enthousiastes, mais finalement je ne jette plus de pierres.

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