Des souris et des hommes

Roman de John Steinbeck illustré par Rébecca Dautremer.

Je connais déjà très bien l’histoire de Lennie, géant idiot, et de George, nerveux et protecteur. « Moi, j’ai toi pour m’occuper de moi, et toi, t’as moi pour m’occuper de toi. » J’ai déjà abondamment pleuré en la lisant et la relisant.

La redécouvrir dans cette édition illustrée par Rébecca Dautremer lui a donné une nouvelle profondeur et m’a fait éprouver de nouvelles émotions. Comment rester de marbre à l’évocation imagée du rêve de George et Lennie, cette petite maison et ce terrain rien qu’à eux ? Comment ne pas vouloir, comme Lennie, s’occuper des doux lapins dans un monde où personne ne viendrait nous déranger ? « Ils étaient assis, immobiles, hypnotisés par la beauté de la chose, l’esprit tendu vers le futur quand cette chose adorable viendrait à se réaliser. » Et surtout, comment ne pas pleurer quand la cruauté et la bêtise s’en prennent à l’innocence ? Dans ce pavé sublimé par ses couleurs, Rébecca Dautremer rappelle s’il était besoin que cette tragédie américaine de 4 jours est un monument littéraire.

L’illustratrice a déjà prouvé qu’elle sait dessiner les lapins et Jacominus n’est pas loin par moment, notamment dans certaines images qui semblent de vieilles photos aux bords déchiquetés. Ill faut dire que l’histoire se prête à la représentation de ces charmants animaux : ils sont la monomanie de Lennie et la promesse de George, l’espoir plus ou moins fou d’une vie moins rude. « Faudra avoir des lapins de couleur différente, George. / Oui, bien sûr […]. On en aura des rouges, des verts et puis des bleus, Lennie. On en aura des millions. »

Il y a des pleines pages dédiées à des portraits des personnages. Rébecca Dautremer a saisi l’essence même de chacun, des détails caractéristiques poussés à leur paroxysme, non pas pour la caricature, mais pour l’incarnation parfaitement aboutie des protagonistes. La dessinatrice propose aussi des publicités et des affiches factices qui nous plongent dans l’Amérique du roman, avec des réclames de produits miracle qui vendent une promesse de rêve américain. Il y a des dessins comme des cartoons, encore typiquement représentatifs du pays et de l’époque.

Rébecca Dautremer fait plus qu’illustrer Des souris et des hommes, elle remet le roman dans son contexte. Et pour pousser cela aussi loin que possible, elle écrit par endroit le texte original anglais en filigrane de ses illustrations. C’est presque une lecture bilingue qu’elle nous offre. Mais là où, véritablement, elle montre toute l’étendue de son talent, c’est quand elle adapte son dessin pour représenter ce qui se passe vraiment dans l’esprit de ses personnages. Lennie est un idiot, mais il est innocent même quand il tue. Il a la douceur pour seule obsession et – comme moi – les lapins pour totem. Dites-moi que l’image ci-dessous n’est pas parfaite pour parler de Lennie ! Ce coloriage d’enfant dit toute la naïveté d’un balourd aux mains mortelles et la puissance triste des rêves impossibles.

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J’ai donc relu Des souris et des hommes. Et j’ai à nouveau pleuré d’abondance pour Lennie, pour les chiens boiteux et pour tous ceux que la société n’aime pas suffisamment.

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