Bande dessinée de Sandrine Martin.
Mona est syrienne. Avec son époux, elle a quitté son pays pour échapper aux bombes qui déchiraient le quotidien. Après un voyage dangereux et terrifiant, ils sont arrivés en Grèce. Leur espoir est désormais de rejoindre l’Allemagne et la famille de Mona, surtout pour que leur enfant naisse là-bas. Pour la future mère déracinée, la grossesse en terre et en langue inconnues est un nouveau parcours du combattant. Sa rencontre avec Monika, sage-femme grecque qui travaille pour Médecins du monde, facilite les démarches. Mais au quotidien, il reste la même urgence : obtenir le passage vers l’Allemagne. Si les voies légales sont bouchées, Mona et Suleiman sont prêts à emprunter celles qui ne se disent pas. « Tout était supportable parce qu’on allait partir. Ça ne pouvait pas être notre vraie vie, le froid, les fissures, les meubles en cageot… Notre bébé allait naître ailleurs ! Pas dans ce foutoir. » (p. 131) L’histoire progresse à mesure des mois de grossesse et du gonflement du ventre de Mona, mère plus résolue que jamais à offrir à son enfant toutes les chances qu’elle-même n’a pas eues. Dans le long monologue intérieur qu’elle adresse au bébé, elle condense ses espoirs et aiguise sa volonté, têtue.
La première et la quatrième de couverture proposent des illustrations en miroir et, tout au long des pages, la fumée des cigarettes dessine des chemins d’évasion et ouvre tous les possibles. Cette bande dessinée se fonde sur une étude anthropologique menée sur les relations entre les femmes enceintes migrantes et le personnel médical. La situation très précaire des premières n’est en rien facilitée par les conditions de travail très difficiles du second. Chez toi montre en outre une particularité grecque, à savoir que les gynécologues sont quasi tous puissants et peuvent décider du terme d’une grossesse sans vraiment consulter les mères, imposant des césariennes à tout va, pour un taux record en Europe. De fait, les méthodes naturelles prônées par les sages-femmes sont difficiles à imposer. En fin d’ouvrage, des documents et des photographies complètent l’histoire et en disent un peu plus sur cette étude.
J’ai lu cette œuvre alors que je venais de fermer Notre humanité d’Ai Weiwei, encore ébranlée par l’urgence d’agir contre la crise des réfugiés et d’accueillir vraiment ces migrants qui quittent tout pour survivre. Cette bande dessinée aux dessins doucement crayonnés et aux camaïeux de bleu ne fait que souligner l’inéluctable nécessité de tendre la main à ceux qui demandent notre aide. L’œuvre m’a beaucoup rappelé Khalat de Giulia Pex, autre bande dessinée qui met en image le déchirement de l’exil et l’impossibilité de trouver sa place dans des pays aux mentalités encore trop fermées.