Félines

Roman de Stéphane Servant.

Au début de l’ouvrage, celui qui se présente comme l’auteur annonce avoir recueilli le témoignage de Louise. « Prendre la parole est dangereux. Si on me trouve, je serai certainement pendue, vous le savez. » (p. 6) Si elle est menacée, c’est parce que, comme de nombreuses autres adolescentes, Louise a subi la Mutation. Son corps s’est couvert de poils et elle est devenue plus animale. La panique s’empare de la société : ces jeunes filles sont également plus fortes et parfois très violentes. Rapidement, la situation dérape : les Félines sont écartées, ostracisées, isolées, parquées dans des camps. Comme dans Le pouvoir, les filles font peur. Parce qu’elles diffèrent de la norme imposée depuis des millénaires. Parce qu’elles sont innombrables. Parce qu’elles sont incontrôlables. « La Mutation avait donné à toutes les jeunes filles une conscience, une force et une détermination que rien ne pouvait arrêter. » (p. 189)

Ce roman est fort et riche de nombreuses positions et revendications. Peut-être trop riche… Lesbianisme et homosexualité à l’adolescence, harcèlement, bodyshaming, suicide, viol, dictature de l’apparence, puissance néfaste des réseaux sociaux, contrôle des corps féminins : tous ces sujets sont majeurs et doivent être traités en littérature, et notamment dans la littérature adressée aux jeunes lecteurs. Mais pas nécessairement dans un seul et même roman : avec tous les sujets qu’il aborde, Stéphane Servant avait de la matière pour plusieurs textes. J’ai eu le sentiment que l’auteur, plein d’une bonne volonté qui transpire dans ses phrases, a voulu se battre sur tous les fronts. C’est assez dommage, car chaque combat mériterait des approfondissements. Je salue cependant la jolie plume de l’auteur et son talent pour injecter de la délicatesse là où tout est dur et gris. « Il suffit parfois de peu pour oublier la laideur du monde : une phrase, un sourire, le parfum de l’automne, un bout du ciel. Du maquillage qui fait qu’on peut y croire, encore. » (p. 15)

Et même si je déplore la rencontre un peu brouillonne de sujets graves et actuels, je retiens des extraits très justes de ce roman dont les qualités l’emportent sur les défauts.

« Voilà comment ça se passait au lycée. En gros, il fallait couvrir son corps, mais pas trop. À l’appréciation du proviseur, à l’aune du désir des garçons. » (p. 39)

« Nos corps faisaient débat. Encore une fois. » (p. 45)

« On ne se fait pas violer. On est violée. Le viol, c’est l’autre qui le fait. C’est l’autre qui impose sa violence. Une violence extrême et aveugle qui fait de vous un objet que l’autre veut soumettre et détruire. » (p. 117)

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