Joseph Wayne est obsédé par la terre et sa fertilité. Dans sa concession de Californie, à la tête de la communauté qu’il a constituée avec ses frères et leur famille, il rêve d’une propriété féconde où la procréation est le maître-mot. « Quand il se remit en selle, il avait la certitude que l’amour de la terre était ancré en lui à jamais. » (p. 18) Son lien avec son terrain vire au paganisme, avec des offrandes bien peu chrétiennes, et d’autant plus à l’approche de la sécheresse qui frappe régulièrement la région. Jeune marié et futur père, Joseph ne peut pas croire que le sol si riche la saison précédente devienne si sec et si ingrat. « Il surveillait sa terre et il lui semblait qu’elle était en train de mourir. » (p. 213) Refusant de quitter sa propriété et tout ce qu’il a construit et perdu, Joseph devient ce patriarche un peu fou que l’on craint et que l’on moque dans la vallée.
Steinbeck se livre à une réécriture moderne de l’épisode biblique de Joseph et des sept années de famine qui dévastent le royaume de Pharaon. En l’inscrivant dans l’Amérique des colons, il déplace le cadre, mais pas le message. Il est toujours question de foi dans un monde tourmenté. Le paradis est pourtant à portée de main à qui sait le voir, sous la forme d’une clairière étrangement verdoyante et d’un rocher moussu. La sécheresse inexorable met à l’épreuve le croyant et conforte l’impie, mais tous attendent désespérément les nuages et la pluie salvatrice.
Il y a dans ce texte foudroyant de beauté un mélange de deux autres romans de John Steinbeck, À l’Est d’Éden et Les raisins de la colère. D’une part, on retrouve l’attachement à la terre et à la propriété familiale, avec l’obsession de la multiplication et de la transmission. D’autre part, il y a la poussière morbide qui recouvre tout et envahit la moindre faille, pour dessécher jusqu’au plus petit atome d’espoir du cultivateur. Quant à moi, je suis encore et toujours plus subjuguée par l’œuvre de John Steinbeck. Je le veux en Pléiade. Je le veux !