Lors d’un « voyage de la mémoire » qu’il effectue en 2015, Gilles Bertrand marche plus ou moins par hasard dans les pas de Raymond Escomel et le long des prises de vue qu’il a réalisées des années auparavant. « L’Italie accomplit chaque jour le prodige d’être une destination du tourisme de masse tout en gardant intacte sa spontanéité propice à attirer les plus subtils observateurs. » (p. 20) Avant de présenter les images du photographe, l’auteur partage une réflexion sur le voyage, son organisation et ses aléas, les découvertes heureuses et les changements de plan. Il insiste aussi sur ce que l’on en garde, une fois rentré dans ses pénates : des souvenirs, et parfois des photographies. « Ces déconvenues occupant beaucoup de temps lors du voyage, les images de ce livre montrent autre chose. La mémoire heureusement sélectionne et les photographies épousent le mouvement de cette tension généreuse. Elles fabriquent un récit, une fiction, une sorte de nouveau voyage qui a peu de choses à voir avec celui qui a été vécu au jour le jour. Cette invention […] assimile le déplacement physique à une quête plus abstraite que l’on pourrait appeler le “voyage de l’âme”, créateur d’un paysage intérieur. » (p. 94 & 95)
Telle que la présente l’auteur – et même sans cela –, l’Italie offre une infinité de voyages, selon la frontière physique par laquelle on l’aborde, mais aussi au regard de la diversité de ses paysages et de la richesse de son histoire. Les anciens états indépendants, fédérés sous un même drapeau, sont autant de géographies à explorer. « L’Italie redevenait à mes yeux un espace-monde, elle s’éloignait du repli frileux sur les revendications lombardes vénètes ou de l’ancien royaume des Bourbons de Naples. Elle n’en était pas moins belle et prestigieuse en cela même que s’y rencontraient des individus d’origines diverses. » (p. 49 & 50) La péninsule est polymorphe, prisée dès les débuts du Grand Tour. De l’image d’Épinal aux représentations inédites, chaque voyageur tente d’en retirer quelque chose. Pour Gilles Bertrand, ce pays convoque des références littéraires, picturales et cinématographiques multiples : l’Italie est une terre d’images et d’imagination. « L’Italie a la force d’un rêve qui a longtemps grandi en chacun de nous avant que le voyage s’accomplisse. » (p. 14)
En deuxième partie d’ouvrage arrivent enfin les photographies de Raymond Escomel. En noir et blanc, les clichés flous saisissent des scènes sur le vif. Paysages, personnes, enseignes, bâtiments, détails ou scènes de rues, autant d’images qui composent une certaine vision de l’Italie, vivante et dynamique. En choisissant ces 48 photographies et en épinglant le lieu de la prise de vue sur une carte, Gilles Bertrand entérine un voyage partagé avec l’artiste visuel : les années d’écart entre leurs présences respectives ne comptent pas, car l’Italie a su les réunir.
J’ai abordé ce texte avec la crainte de ne pas comprendre le lien que l’auteur tissait avec le photographe. Finalement, tout est limpide et les images parlent d’elles-mêmes. C’est une belle rencontre à laquelle on assiste, de cartes en mots et de prises de vue en souvenirs.
Lu dans le cadre du prix Place Ronde – Écrire la photographie, édition 2022.