Le narrateur est un enfant. Partout, aveuglément, il suit son frère aîné. « Rien ni personne ne compte davantage que mon frère Mano. » (p. 9) Quand ce dernier décide de partir à la recherche de leur père, figure floue nourrie de vagues souvenirs, le garçon suit Mano le long des rails qui doivent les conduire à l’absent tant désiré. « La recherche du père était un prétexte pour motiver sa décision de quitter le domicile maternel ; une fois que nous l’aurions trouvé, une page serait définitivement tournée. » (p. 43) De gare en gare, les deux enfants s’éloignent de leur maison, de leurs repères et de leur enfance. Le jeune narrateur, gamin timide et entièrement soumis à l’autorité de son aîné, se sent souvent l’envie d’oser. Oser prendre une autre voie. Oser voir le monde par d’autres yeux, les siens. Oser quitter l’aridité linéaire des rails pour retrouver un jardin fertile. La marche têtue et inepte le long de la voie le fait grandir et se découvrir. Il peut être autre chose que la seule extension de Mano, et il n’a peut-être pas besoin de ce père qu’il n’a jamais connu. Surtout, le petit garçon comprend qu’il y a des expériences qui ne se vivent qu’en solitaire. « Ce que Mano voulait dire, je pense, c’est que les choses acquièrent la valeur que nous décidons de leur accorder. » (p. 36)
Ce beau roman très court, aux airs de contes initiatiques et qui flirte avec le réalisme magique, dresse le touchant portrait d’une enfance qui se secoue et d’une misère triste qui décide de vivre dans l’instant au lieu de fantasmer un espoir impossible. La plume est vive et entoure les personnages d’une tendresse indispensable pour leur permettre d’affronter la rudesse de l’existence. Car marcher en équilibre sur un rail, ce n’est pas une possibilité : il faut accepter de renoncer et choisir de s’arrêter quelque part.