L’acteur Jean-Yves Pandorini est mort. L’émoi est national. Pendant des jours, la presse multiplie les nécrologies dithyrambiques. Le monstre sacré du cinéma était aussi très investi dans la défense et la protection des femmes battues. Et puis paraît une tribune qui mentionne l’éléphant dans la pièce : et si Pandorini, au-delà de son charme et de ses innombrables conquêtes, était un homme dangereux ? Très vite, deux camps se forment : celles et ceux qui défendent la mémoire d’un homme d’exception et celles – surtout celles – qui osent enfin prendre la parole et dénoncer l’indicible. Les témoignages se recoupent, se complètent, se confortent. « Comme beaucoup de femmes, j’ai mis une éternité pour enfin oser ouvrir ma gueule. » (p. 115)
Parmi ces prises de parole, il y a celle de la narratrice, elle qui depuis le début s’adresse directement à Pandorini, dans une lettre destinée à l’outre-tombe. Elle raconte la jeune actrice de 19 ans qu’elle a été, la rencontre avec l’immense acteur. Puis la fascination et la dépendance. C’est un cri écrit que la narratrice envoie. « Pendant ces quelques années, j’ai fait des choses que je n’aurais jamais faites si j’avais été dans mon état normal, et que je ne ferais jamais plus. » (p. 133) Long a été le chemin pour qu’elle accepte que cette relation d’emprise était anormale et qu’elle a été victime d’un viol. Elle était une parfaite innocente, pétrie de romantisme, et un monstre lui a ravi ce qu’elle était prête à offrir. Des années après, le traumatisme est toujours profond, et le manque hurle encore. « J’ai peur. Peur de rallumer le silence en éteignant la télé, et d’avoir besoin que tu me prennes dans tes bras pour me consoler. » (p. 11)
La dédicace fend et touche au cœur : « à toutes celles qui, elles aussi ». Comment ne pas comprendre ce que cela dit ? Comment ne pas avoir envie de tout casser ? Florence Porcel décrit parfaitement le mécanisme médiatique qui se met en branle, avec des partisans acharnés du respect dû aux morts, dans des défenses écœurantes de machisme et de misogynie. Pour écrire son roman, l’autrice s’est inspirée de sa propre histoire. Et là encore, comment ne pas compatir et ne pas vouloir hurler ? La démarche de Florence Porcel est puissante et vibrante. Et son texte donne une réponse intelligente à la sempiternelle question : peut-on séparer l’homme de l’artiste/personne publique ? Non seulement on ne le peut pas, mais on ne le doit pas ! Il ne faut jamais donner quitus de ses erreurs/fautes à une personne au motif qu’elle s’est illustrée par des engagements solidaires ou un talent quelconque.
Je vais beaucoup faire circuler ce livre dans mon entourage féminin. Et il trouvera évidemment sa place sur mon étagère féministe.