Parfois, il est bon de simplement commencer par l’incipit. « C’est dans le ruisseau que les matières s’écoulaient, consacrées par une novice qui avait vœu de chasteté sincère, mais temporaire. Au long de la nuit, le vacarme héroïque des torturés rugissant dans leur retraite s’ajoutait à la rude déclamation des mendiants mystérieux de l’enfer alcoolique. Une bouteille tomba de la poche du kangourou ventriloque au regard fixe. » (p. 7)
Cela vous paraît bien abscons ou tout à fait perché ? Ne laissez pas cette entrée en matière surréaliste et extraordinaire vous freiner. Continuez la lecture, tout prendra sens au fil des pages et des boucles du récit. Oui, tout est décalé, étrange, halluciné ; rien n’est ordinaire.
Alors, de quoi est-il question ? Il y a un homme blessé, sa compagne d’infortune ou peut-être son guide. Passées les plaies liminaires, le récit se déploie dans un raffinement moribond et une violence exquise. Il y a aussi le lapin, gigantesque évidemment puisque les Flandres sont à l’honneur.
Je refuse d’en dire davantage ou de résumer platement cette œuvre regorgeant de symboles et de poésie. Ouvrez ce texte sans craindre l’inconnu : ce n’est pas le saut qui fait peur, c’est l’hésitation.
Ce roman circulaire, comme nommé par l’écrivain lui-même, est le premier de Lucien Suel, mais pas le dernier que je lis de lui. Dans la bibliographie de cet auteur que je découvre, ai-je choisi ce livre pour son titre ? Indubitablement : je ne cesse jamais de courir après le lapin, blanc, mauve, mystique, qu’importe ! Et c’est toujours un plaisir de découvrir des artistes de ma chère région des Hauts-de-France, surtout s’iels sont publié·es par une maison d’édition locale.