Le démon de la colline aux loups

Roman de Dimitri Rouchon-Borie.

Dans sa cellule, Duke écrit sur une vieille machine. Sa parole est un flot sans digue. La ponctuation est rare, la syntaxe approximative, mais Duke ne s’arrête pas. Il veut tout dire. « Je ne sais pas si j’étais prêt à revivre la Colline aux loups même si je l’ai quittée ou si elle m’a quitté je suis comme un arbre pourri avec ses racines toujours dans le marais de l’enfance. » (p. 8) Son texte est un journal, une autobiographie, une déposition, une confession. Ce qu’il raconte, c’est son enfance martyre, derrière des volets clos, dans une maison où le père prend se donne tous les droits sur ses enfants, sous l’œil complaisant de la mère. « Je vais écrire des choses sales et je voudrais que vous me pardonniez même si lire c’est moins pire que subir on voudrait être épargnés. J’ai tourné dans ma tête mon meilleur dictionnaire mais je sais maintenant que ça ne se raconte pas joliment. » (p. 34) Dans la fratrie, les membres se protègent et s’aiment comme ils peuvent, approximativement et mal. « C’est pas parce qu’on a mis un pont au-dessus du ravin qu’on a bouché le vide. » (p. 87) Duke se libère et sauve ses sœurs et ses frères. Il y a ensuite le procès, long et éprouvant, la tentative impossible de vivre normalement, puis la fugue. Et Billy, blonde adolescente perdue dans les drogues. Pour elle, Duke lâche le démon qui vit en lui depuis la Colline aux loups de l’enfance. « Il faut comprendre que c’est trop dur de demander à un enfant qui a enduré d’avoir en plus la force de faire les bons choix. […] C’est une injustice que vous ne pouvez pas comprendre de vous-même mais c’est comme ça que ma vie est faite. » (p. 146) Avec ses mots simples, mais sa pensée infiniment profonde, Duke ne demande pas le pardon, juste la compassion. Lui, de son côté, a fait de son mieux pour tenir en respect le démon. Et là, en prison, il n’attend plus rien. « De toute façon ça ne changera rien si j’attrape ici une solitude qui me tue vu que je suis programmé pour mourir. » (p. 12)

Avec ce roman, Dimitri Rouchon-Borie signe un texte qui ébranle jusqu’au cœur. Duke est un protagoniste supplicié et bourreau, profondément humain, en quête de douceur et de lumière, mais hélas trop familier de la rage. L’auteur parle avec une pudeur lucide de l’inceste et des errances de l’enfance qui souffre. Plus largement, il parle de la solitude de l’humanité et son infini besoin de chaleur. J’ai parcouru ce roman en deux heures, happée par chaque mot, entraînée par chaque virgule manquante à poursuivre ma lecture. Voilà une première œuvre qui annonce un talent immense et j’ai hâte de lire d’autres textes de l’auteur.

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