Mohamed a quitté le Maroc pour travailler en France. Et travailler, il aime ça, il connaît son métier et n’envisage pas de ne plus l’exercer. L’approche de la retraite fait germer en lui une sourde angoisse. « C’était comme si on lui signifiait qu’il était malade et qu’il ne pouvait plus être rentable pour la société. Une maladie incurable, une disponibilité pour un immense ennui. » (p. 27) Pour se rassurer, il en appelle à sa foi et à son amour simple et profond pour l’Islam. Pour Mohamed, les traditions et la religion sont le rempart du malheur. Il n’aspire qu’à une vie simple et heureuse, entourée des siens. Le seul intérêt de la si terrifiante retraite est de pouvoir enfin achever sa maison au bled, où il compte bien finir ses jours. « Mohamed avait toujours rêvé d’une maison, une belle et grande maison où toute la famille serait réunie dans la paix, le bonheur et le respect. » (p. 15)
Hélas, ses cinq enfants sont nés et ont grandi en France. Pour eux, le bled, c’est un coin paumé et sans intérêt. Le hiatus entre les deux générations est consommé quand Mohamed comprend que ses racines sont au Maroc et que celles de ses enfants sont en France, même si elles ne sont pas plantées bien profond. « Je suis triste depuis que je suis arrivé en France, ce pays n’y est pour rien dans ma tristesse, mais il n’a pas réussi à me faire sourire, à me donner des raisons d’être gai, heureux, c’est comme ça, je n’y peux rien. » (p. 47) Le Maroc, c’est le pays des origines et le pays du retour triomphant. « Le Maroc ne vous lâchera jamais, il sera toujours avec vous, impossible de l’oublier, le Maroc émigre avec vous, il vous suit, vous guide et vous protège, il vous collera à la peau ; il ne faut pas se décourager, quand le pays vous manquera. » (p. 95) Mais tout cela n’est que chimère et le fantasme du retour à la terre natale s’évapore, se heurte à la dure réalité. Mohamed n’a jamais été français, mais il n’est plus tout à fait marocain.
J’avais lu Partir de Tahar Ben Jelloun, où de jeunes Marocains ne rêvent que de quitter la terre marocaine. Au pays est le pendant exactement inverse de ce roman et il présente le désarroi, voire la détresse d’un homme qui ne trouve et ne retrouve son foyer nulle part. « La France, ce ne sera jamais votre pays, ça c’est sûr ! La France, c’est la France, un pays riche mais qui a besoin de nous comme nous avons besoin de lui. » (p. 97) J’ai aussi été très émue par la foi dont Mohamed fait montre. « Ma religion est mon identité, je suis musulman avant d’être marocain, avant de devenir immigré, l’islam est mon refuge, c’est lui qui me calme et me donne la paix. » (p. 131) Cette foi bannit les intégrismes et les excès, elle parle d’amour, de pudeur et de respect. Dans ce court roman, l’auteur évoque le racisme et la différence. Il soulève des questions simples et évidentes qui obsèdent comme des chansons lancinantes. « Mohamed ne savait plus si le racisme était suscité par la couleur de la peau ou l’extrême pauvreté. » (p. 13)
J’ai beaucoup apprécié cette lecture aux teintes élégiaques, tout en pudeur et en sensibilité.