
Texte de Joseph Ponthus.
« Je n’y vais pas pour écrire / Mais pour les sous » Les choses sont dites : l’auteur/narrateur doit gagner sa vie, alors il se fait intérimaire dans diverses usines agroalimentaires. Ce travailleur social découvre les horaires décalés, les nuits perturbées et la mélodie assommante des machines. « À travailler de nuit je perds le goût des jours » Des crevettes, des poissons frais et panés, du tofu, des crustacés, du bétail : la chaîne passe et ne se ressemble pas, la seule constante est le froid et la matière inanimée. L’homme à la tâche oublie les heures, mais pas d’écouter et d’observer les autres ouvriers : les corps sont rompus aux gestes mécaniques, répétitifs, appris malgré soi et contre soi. « Mes cauchemars sont juste à la hauteur / De ce que mon corps endure » L’ouvrier malgré lui trouve une forme de beauté dans les carcasses découpées et dans les corps fracassés. Cependant, face à la fatigue, aux douleurs et aux accidents, il n’y a pas d’échappatoire, quoi que tente la licence poétique. « Mes mots peinent autant que mon corps / Quand il est au travail »
Avec ce poème en vers libres sans ponctuation, Joseph Ponthus dépeint avec acuité la précarité de l’intérim, mais surtout l’horreur des abattoirs. Certaines descriptions sont éminemment dérangeantes, surtout pour moi qui suis végétarienne depuis bientôt 10 ans et hautement sensible aux souffrances animales. La forme choisie par l’auteur n’est pas que belle, elle est signifiante, comme Joseph Ponthus le pointe très justement : « J’écris comme je travaille / À la chaîne / À la ligne » Quant à l’absence de ponctuation, c’est la traduction de l’enchaînement des heures, des jours tous identiques, de l’abrutissement du travail. Impossible de ne pas être remuée par ce texte si viscéral, humain à n’en plus pouvoir et, à mon sens, amèrement anticapitaliste.