Son odeur après la pluie (récit et BD)

Récit de Cédric Sapin-Defour.

Une petite annonce, un regard et c’est l’évidence : ce chiot sera son compagnon de vie. Du premier jour aux ultimes instants partagés, l’auteur raconte sa relation avec Ubac, superbe bouvier bernois. Il écrit cette « audace d’aimer », car s’attacher à un animal, c’est savoir que les statistiques sont contre vous : à moins de choisir une tortue géante ou un perroquet, votre chien, votre chat ou encore votre lapin partira avant vous, laissant un manque que rien ne comble, tant l’empreinte laissée est unique. « Son absence escorte chacun de mes jours et je ne trouve pas tout à fait normal que la vie continue. » (p. 21) Avec son chien, Cédric Sapin-Defour marche, explore, discute et apprend à voir et ressentir le monde avec une intensité nouvelle, dans une immédiateté apaisée et une sérénité joyeuse qui laisse toute sa place à la spontanéité. « J’ignore pourquoi nous nous évertuons à parler aux chiens. Sans doute chacun rêve-t-il en secret d’être le premier homme sur terre à qui le sien répondra. » (p. 62)

Cette certitude face à l’animal, je l’ai ressentie quand j’ai vu la photo de Bowie sur Twitter : cette petite chose efflanquée couverte de vermines serait la précieuse compagne de mes jours. Treize ans déjà et pas un jour ne sera de trop. De l’irrésistible joliesse pataude des petits à la beauté calme et élégante des adultes, comment se lasser d’admirer nos animaux de compagnie ? « Toute notre vie, il sera le plus photogénique et ne me laissera que les honneurs du second plan. » (p. 40 & 41) Le terme est d’ailleurs si mal choisi : l’animal n’est pas que de compagnie, il est de joie, d’amour, de quotidien, de chagrin également. Il est de maintenant et pour toujours. « La seule scission du temps dont j’étais déjà conscient est qu’il y avait eu avant Ubac et désormais Ubac ; l’amour, ça coupe la vie en deux. » (p. 226)

J’ai pleuré quelques seaux face aux chapitres terribles de la maladie, des derniers jours et de l’absence. Pour avoir déjà perdu des bêtes si chères à mon cœur, je connais la peine dont parle l’auteur. Les mots sont justes et la prose est riche, comme l’est l’odeur complexe des forêts montagneuses qui sont bien décrites au fil des pages. Avec son récit, Cédric Sapin-Defour parle de l’humanité dans ce qu’elle a de meilleure, à savoir son rapport à l’altérité.

Bande dessinée de José Luis Munuera, adaptée du récit de Cédric Sapin-Defour.

Le bédéiste reprend le texte, en retranche certains épisodes, en extrapole d’autres et compose une œuvre délicate qui rend superbement honneur aux mots. Si la chronologie du livre n’est pas respectée, l’essentiel est là, capturé et rendu dans des couleurs douces et profondes. La nature se taille la part du lion : sommets, forêts, panoramas, tout cela se déploie sous nos yeux enchantés. Ubac crève la page, chien magnifique aux muscles dynamiques et à la personnalité si heureuse. « Ce chien me réapprend à lire le vivant qui nous entoure. À écouter la musique de la nature, ses amplitudes, ses respirations, ses mystères, moi qui ne vois que le visible. «  (p. 93) Voilà une vérité à faire connaître : l’amour décille et fait voir au-delà de soi et des apparences.

Après le texte, la BD aussi m’a émue aux larmes. « L’odeur, c’est le lieu intime fermé aux autres. Je voudrais que ton odeur m’envahisse pour toujours. » (p. 118) Comme je chéris cette phrase ! J’enfouis souvent mon nez dans le poil des flancs de ma petite chatte (quand elle me laisse faire sans sortir les griffes…) et je me soule de son odeur unique. Je me la représente d’une couleur chaude, comme un caramel capiteux et enveloppant : elle rebooste mes batteries émotionnelles et elle m’emplit d’un souffle hautement précieux parce qu’habité d’une part de ce petit être que j’aime.

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2 réponses à Son odeur après la pluie (récit et BD)

  1. Lydia dit :

    Je n’ai pas voulu le lire par peur de pleurer toutes les larmes de mon corps. Mais peut-être un jour…

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