
Roman de Rachid Benzine.
Julien capture les images de Gaza. « Journée ordinaire. Hier, deux frappes ont tué quatre gamins dont le seul crime avait été de jouer au foot sur la plage. » (p. 7) Face à une horreur presque banalisée, le photographe français cherche des traces de beauté et de vie dans la ville qui est suppliciée comme un corps lacéré. Le voilà face une bouquinerie tenue par un vieillard paisible et prompt à raconter son histoire, aussi tragique que celle de son pays. Nabil est né en 1948 : ses premiers souvenirs sont ceux du camp de réfugiés. Il n’a pas connu le déracinement de ses parents, dépossédés de leurs terres et de leurs biens, jetés sur les routes en un nouvel exode. « Au fil du temps, le statut de ‘réfugiés’ a forgé notre identité. » (p. 26) L’enfance dans les camps, puis sous les assauts des chars à Gaza et la peur permanente des bombardements ont ancré en Nabil le goût des livres. Lire, c’est s’évader, c’est résister, c’est apprendre pour mieux comprendre et c’est refuser la fatalité. « Le lecteur est un prisonnier consentant, attaché à l’illusion que chaque page tournée le délivrera. » (p. 15) De la guerre des Six Jours à Septembre Noir, de l’OLP au Hamas et aux Intifadas, le vieil homme déroule auprès de Julien le fil de son existence, de ses pertes et de ses joies fragiles.
Comment ne pas être émue au cœur par ce livre ? L’intrigue parle d’un pays avant octobre 2023, déjà largement meurtri, mais encore debout et habité par l’espoir. L’auteur dénonce clairement les agissements criminels du gouvernement israélien. « Les frappes chirurgicales relèvent souvent de l’erreur médicale. » (p. 7) La boutique de Nabil est une bulle de calme, suspendue dans le temps et l’espace, un lieu presque impossible. « Tout tient en équilibre. Un miracle. Un désordre qui aurait du sens. Chaque livre semble avoir sa place au sein d’une logique qui t’échappe encore. Comme si un fil invisible les reliait entre eux. » (p. 13) En amassant les livres et en les donnant pour rien aux personnes qui passent le seuil de son échoppe, le vieil homme répare la trame déchirée d’une humanité universelle. « Dans sa librairie, la poésie côtoie le théâtre, Racine, Homère et Kadaré sont frères, en dépit des classements, des ordres alphabétiques, ou des genres. » (p. 32) J’ai retrouvé dans ce beau roman la solennité pleine d’espoir du Quatrième mur, et comme avec le roman de Sorj Chalandon, j’ai vécu la conclusion comme un drame intime.
Rien que le titre est un appel à la lecture !
Absolument ! J’en ressors avec une liste de titres à découvrir !