Roman de Norman Spinrad.
Parfois, il s’en faut de peu pour que l’histoire change. Dans cette dystopie, Adolf Hitler a émigré aux États-Unis en 1919 et il est devenu un illustrateur et un auteur de science-fiction renommé. Il observe avec tristesse et colère la révolution communiste qui s’est étendue à toute l’Europe, notamment l’Allemagne qui est désormais sous domination soviétique, ce qu’il déplore dans son roman le plus célèbre, intitulé Le seigneur du Svastika, « cette œuvre de fiction belle aux yeux d’innombrables lecteurs tel un flambeau d’espérance en ces temps de ténèbres et de terreur. » (p. 11)
Dans un univers post-apocalyptique, Feric Jaggar est un Purhomme déterminé à nettoyer la Terre des mutants et des Dominateurs et de rendre aux humains dont le code génétique est pur la pleine maîtrise du monde. « La pureté génétique est la seule politique de survie humaine ! » (p. 24) En s’alliant à d’autres Purhommes, il fonde les Chevaliers du Svastika, puis les soldats du Svastika, mieux connus sous les initiales SS. Avec ses valeureux camarades, il mène des batailles et des massacres, prend la tête du pays d’Heldon et impose sa suprématie politique. « Aussi longtemps que Heldon se gardait génétiquement pure et appliquait rigoureusement ses lois sur la pureté raciale, l’espoir demeurait de voir la Terre redevenir un jour le fief de la race humaine. » (p. 19) Feric met en œuvre un rigoureux programme de sélection génétique, procède à des purges à tous les niveaux du pouvoir, contrôle l’armée et met sur pied l’extermination organisée de ceux qui ne sont pas jugés dignes de se reproduire. « Ils mènent tous une existence sordide et misérable ; ils sont génétiquement incapables d’amélioration. Sans aucun doute, l’euthanasie serait un service à rendre à ces malheureux, aussi bien que la solution la plus réaliste pour nous. Mais j’insiste absolument sur le fait que cette tâche doit être menée avec le minimum de souffrances, le maximum d’efficacité, et au meilleur coût. » (p. 201)
Logiquement, le résumé de ce roman fictif devrait vous rappeler quelque chose… Il ne s’agit pas simplement d’une réécriture SF de Mein Kampf ou du parcours d’Adolf Hitler. Rêve de fer s’ouvre et s’achève sur un appareil critique – évidemment fictif – du roman de celui qui n’est jamais devenu le Führer, mais qui en a très certainement rêvé. Les analyses mettent en avant le délire pathologique et psychotique de l’auteur, moquent son obsession phallique et déconstruisent ses thèses grotesques. « Son devoir d’homme pur était clair : user de tout son pouvoir pour restaurer la rigueur des lois de pureté génétique, œuvrer à leur application rigoureuse, voire fanatique, et faire plein usage de toutes les chances que lui offrirait le destin pour servir cette cause sacrée. » (p. 36 et 37) Ce faisant, c’est Norman Spinrad qui, avec une large dose d’ironie, d’humour noir, mais surtout de réalisme, met en garde contre les dérives idéologiques de certains et la facilité qu’ont les foules d’y adhérer. Il rappelle que l’humanité n’est jamais à l’abri de retomber sous le joug d’un leader mégalomaniaque et dangereux, tout en espérant qu’elle saura s’en protéger. « Nous avons de la chance qu’un monstre comme Feric Jaggar demeure à jamais enfermé dans les pages de la science-fiction, rêve enfiévré d’un écrivain névrosé nommé Adolf Hitler. » (p. 275)
Rêve de fer est une dystopie intelligente, férocement drôle par certains aspects, mais surtout parfaitement lucide. Maintenant, regardez qui les Brésiliens viennent d’élire à leur tête et dites-moi que la littérature est seulement de la littérature et que les hommes apprennent de l’Histoire…