Cent mots par jour. Pas un de plus, sous peine de châtiment. Depuis que le Mouvement Pur est arrivé au pouvoir aux États-Unis, les femmes ont vu leur droit à la parole drastiquement réduit. Chaque mot compte et certains plus que d’autres. Jean, spécialiste du langage, enrage d’être cantonnée à un rôle de mère au foyer soumise et docile. Son époux, Patrick, semble compatissant, mais ne proteste pas devant le système. Son aîné, Steven, est en revanche complètement acquis au Mouvement. Plus que tout, Jean a peur pour Sonia, sa benjamine. « On attend de ma fille qu’elle sache un jour tenir un foyer, faire des courses et qu’elle devienne une bonne épouse dévouée. Pour ça, il faut simplement savoir compter, pas besoin d’orthographe ni de littérature. Ni de voix. » (p. 6 & 7) Quand le gouvernement la sollicite pour soigner le frère du Président, atteint d’aphasie après un accident, Jean voit s’ouvrir un chemin vers la liberté, car elle retrouve Lorenzo, ancien collègue et amant. « Je veux me battre, mais je ne sais pas comment. » (p. 175) Mais tiraillée entre le désir de fuir et celui de rester auprès des siens pour les protéger, et sachant qu’elle est surveillée de toutes parts, Jean devra faire des choix terribles. « Il y a toujours quelqu’un qui t’attrape, chérie. Toujours. Tôt ou tard, tu fais une connerie. » (p. 266)
Devant cette dystopie féministe glaçante, impossible de ne pas penser à La servante écarlate de Margaret Atwood. Si je déplore une résolution un peu bâclée et un usage de l’ellipse assez maladroit, je salue la force de ce roman qu’on ne peut hélas pas qualifier de farfelu, mais plutôt d’anticipation tant il fait écho à des évènements actuels qui se déroulent dans la première puissance mondiale et partout ailleurs dans leur monde. Avortement interdit en Alabama, condamnation d’une femme parce qu’elle a perdu son bébé après avoir reçu une balle perdue dans le ventre, invisibilisation des minorités, féminicide, viol, tout cela se passe ici et maintenant. La première des résistances est celle qui consiste à ne pas rester silencieux. Le premier des combats sera toujours la protestation. Alors, tant que nous avons la parole, prenons-la ! Sur les blogs, dans les médias, dans la rue, dans l’espace public, dans l’espace intime. Parlons, crions, refusons !