« Tomber amoureux, c’est n’avoir pas vu que le temps s’arrête ». (p. 13) Lola et Victor s’aiment. Dans leur minuscule appartement, le bonheur et la vie de couple sont simples et joyeux. « Pourquoi dépendre de l’énergie de la conquête lorsque l’on s’aime sans avoir à se surprendre ? » (p. 21) Aussi sont-ils dévastés quand l’application TimeWise leur annonce que leur relation finira dans 2 mois. « Tu penses sincèrement qu’une machine peut décider de la date d’arrêt des sentiments ? / Pas décider. Elle sait. » (p. 31) Désormais, l’horloge tourne, le temps s’échappe, le sablier se vide… Lola et Victor ne comprennent pas ce qui pourrait, en 2 mois, briser leur amour si parfait. « Un amour épanoui pouvait-il supporter les contours d’un temps imparti ? » (p. 58) Le quotidien devient infernal pour les jeunes amoureux. Faut-il qu’ils ignorent le calcul mathématique et espèrent le meilleur ou qu’ils se soumettent au résultat de la Carte de TimeWise et se préparent l’inéluctable annonce ? Doivent-ils précipiter le terme de leur couple, vivre chaque jour intensément avant la fin ou tenter de déjouer les statistiques ?
Le sujet est moins loufoque qu’il y paraît et cette science-fiction gentiment incongrue est finalement très pertinente. Dans un monde où l’informatique est omniprésente, peut-on encore être le maître de son existence ? S’en remettre aux algorithmes et prêter foi à leurs calculs, est-ce de la lâcheté ou un renoncement évident et nécessaire face à une nouvelle forme de fatalité ? « Comment se faisait-il que la technologie ait révolutionné jusqu’aux façons de s’aimer sans avoir produit le moindre antibiotique contre la souffrance amoureuse ? De nos jours, seule la fierté nous poussait à vivre nos histoires d’amour comme un opéra italien du XVIII° siècle. » (p. 228) Dans cette chronique de l’amour à la mort plus ou moins annoncée, l’autrice donne à penser sur ce qui scelle un couple, entre quotidien, passion, confiance et conscience de l’inconnu, et sur le peu qu’il faut pour déstabiliser les plus grands colosses. « Ce n’est pas que le savoir donne le pouvoir. C’est que l’ignorance provoque la psychose. » (p. 119) Finalement, aimer sans certitude n’est-elle pas la seule et vraie manière d’aimer ? La fin du roman est charmante, sur une pirouette peut-être un peu facile, mais maligne. En remettant le bonheur entre les mains du hasard, le couple ne peut qu’en sortir plus fort.
Ici, la Carte est loin d’être celle du Tendre, mais l’autrice exprime une tendresse piquante pour ses personnages. Leurs petits défauts sont agaçants, mais ils sont normaux, humains. Aucune histoire d’amour n’est parfaite et ce qui compte est de s’y investir pleinement. « Tu vois bien que l’on s’aime, Victor. On ne va pas se désaimer en deux mois. » (p. 106) Avec ce premier roman, Salomé Baudino fait une entrée très réussie sur la scène littéraire française contemporaine ! Sa plume est légère et très plaisante à suivre, au gré de chapitres courts et rythmés. Un vrai bonheur de lecture !