Le regard féminin, ou female gaze, qu’est-ce que c’est ? Est-ce simplement et mécaniquement l’opposé du male gaze ? Iris Brey explique qu’il s’agit de filmer les femmes sans en faire des objets sexuels destinés à exciter le seul désir des hommes spectateurs. Voilà pour la première étape. Mais le regard féminin, c’est bien plus que cela. « Ce n’est pas un regard créé par des artistes femmes, c’est un regard qui adopte le point de vue d’un personnage féminin pour épouser son expérience. » (p. 9) Cette façon de filmer s’attache à montrer les différences et à proposer une nouvelle forme d’écriture cinématographique ou, plus simplement, une autre façon de raconter des histoires. Évidemment, c’est une opposition au male gaze qui a ancré dans nos imaginaires une certaine représentation de la femme et de son désir et qui refuse/moque/invisibilise toute autre façon de faire. « La manière dont le corps des femmes est filmé n’est pas questionnée, et le fait de prendre du plaisir en objectifiant les corps jamais remise en question. » (p. 33) À plus large échelle, au-delà du seul corps féminin, c’est tous les corps et toutes les représentations que le female gaze veut interroger, en remettant les personnages féminins ou masculins en situation d’agir, sans subir le regard ou l’action. Il s’agit avant tout de s’affranchir du regard dominant de l’homme blanc hétérosexuel. « Le male gaze est mortifère. Le regard féminin, lui, est un regard vivant qui produit des images inédites, nos images manquantes. » (p. 235)
« Un film avec une héroïne est une condition nécessaire, mais non suffisante pour qu’un regard féminin puisse advenir. » (p. 83) De même, un réalisateur peut porter un female gaze sur ses actrices et ses personnages féminins : il suffit qu’il le souhaite et qu’il réfléchisse en ce sens pour créer son œuvre cinématographique. Le regard féminin n’est pas et n’a pas à être l’apanage des seules réalisatrices. C’est un procédé filmique au même titre que le travelling ou la contre-plongée : c’est une façon de montrer et de filmer. « Il faut toujours partir de la mise en scène pour déterminer si une œuvre recourt ou non au female gaze. » (p. 79) Et comme tout est signifiant au cinéma, de la musique à la lumière, le regard que la caméra force le spectateur à adopter est lourd de sens. Iris Brey rappelle qu’au-delà des corps féminins qu’il faut montrer sans les sexualiser, le cinéma doit s’emparer de sujets féminins qui sont cachés ou jugés peu dignes d’intérêt, voire tabous. Le grand et le petit écran doivent montrer le désir et le plaisir des femmes, mais aussi les fluides féminins, des menstrues à la cyprine, ou encore l’accouchement ou le viol, sans jamais érotiser ce dernier. « Le female gaze permet de ne plus faire d’un viol un spectacle et de le donner à voir comme une expérience qui laisse des traces dans notre chair. » (p. 137)
Comme dans Sex and the Series, Iris Brey ne se gêne pas pour reprocher à une certaine critique ses œillères et sa complaisante envers la culture du viol et le patriarcat en général. « Le regard féminin propose une autre manière de désirer, qui ne se base plus sur une asymétrie dans les rapports de pouvoir, mais plus sur l’idée d’égalité et de partage. » (p. 19) Ses textes sont salutaires et empouvoirants. Ils rendent hommage à des réalisatrices au talent immense, au premier rang desquelles je place Jane Campion dont je ne cesse d’apprécier et revoir le travail. « Le regard féminin n’est pas le fruit du hasard, c’est une manière de penser. » (p. 20)
Cet essai passionnant, aux démonstrations parfaitement menées, prend évidemment place sur mon étagère de lectures féministes ! « Le female gaze est inclusif, il n’exclut personne. » (p. 39)