Texte de Philippe Claudel.
En 84 pages, Philippe Claudel parle de Jean-Marc Roberts, auteur et directeur des éditions Stock pendant 15 ans. L’homme était son éditeur depuis 2001 et son meilleur ami. Son unique ami. Cette lettre à l’ami n’est pas un éloge funèbre. C’est une élégie pleine d’élégance, agrémentée de quelques coups de gueule. Jean-Marc Roberts, affectueusement surnommé Jean-Bark, aimait ses auteurs et il aimait la vie. Ce jouisseur est mort d’un cancer, emporté par les conséquences d’un vice dont il n’aurait jamais pensé se passer.
Devant la tombe, en pensée et derrière son clavier, Philippe Claudel envoie ses meilleurs souvenirs à celui qui a quitté la scène littéraire et la scène intime trop tôt. Jean-Bark est un texte puissant, protéiforme et aucunement macabre : confidences, nostalgie, prises à partie, respect, amour, tristesse, amitié, attente des retrouvailles… Jean-Bark, c’est tout cela, plus un supplément d’âme qui n’appartient qu’à la plume de Philippe Claudel. Et comment ne pas penser à Meuse l’oubli, son premier roman, où l’auteur parlait déjà du deuil avec une phrase qui s’adapte tellement à la disparition de Jean-Bark. « Chaque matin, je redevenais veuf en m’éveillant du sommeil où l’alcool m’avait versé et courais dans les toilettes y dégueuler mes rêves. » Quand on perd un proche – amante ou ami –, on est veuf, amputé de la part qui portait l’autre. J’ai relu les dernières phrases de ce texte plusieurs fois : elles ont rompu les digues de mes yeux gonflés par ce texte profondément humain.
Je n’en dis pas plus et vous offre quelques sublimes extraits de ce livre.
« Je me sens à côté de moi-même et dans une inconfortable attente. » (p. 11)
« Tu étais un éditeur qui aurait pu être un voyou. Flambeur guère intéressé par l’oseille, mais habile à monter des coups. Un doux voleur. Un contrebandier. Un artiste en somme. » (p. 14)
« Je savais que tu allais mourir, et je ne pouvais plus écrire. J’ai mis du temps à comprendre que je ne pouvais plus écrire parce que je savais que tu allais mourir. » (p. 19)
« Les gens comme nous qui ont tant besoin d’être aimés, c’est sans doute parce qu’ils s’aiment si peu. » (p. 28 & 29)
« Quand on blessait un de tes auteurs, tu aurais voulu casser la gueule à celui qui avait répandu son fiel. » (p. 37)
« Tu m’as laissé dans une belle merde. Tu m’as abandonné au moment où je doute de l’utilité d’écrire encore. » (p. 45)
« J’ai envie de boire du vin. J’attends que le soir tombe. Boire du vin me permet de te rendre plus léger dans ma vie. De rendre ta mort plus supportable. Bien sûr, au matin, rien n’a changé. » (p. 65)
« Mais dis-moi, qui est donc le condamné ? Celui qui reste ou celui qui embarque, Jean-Bark ? » (p. 78)