Roman de James Welch.
En 1870, sur les territoires que recouvre aujourd’hui le Nord-Ouest du Montana, le peuple des Pikunis vivait en harmonie avec la nature, ne lui demandant que ce qu’elle pouvait donner et la remerciant de tous ses bienfaits. La tribu des Pieds-Noirs était composée de guerriers valeureux dont les exploits lors d’affrontements avec d’autres tribus étaient connus et respectés. Chien de l’Homme Blanc, un jeune Pikuni malchanceux et sans envergure, s’illustre lors d’un vol de chevaux chez les Corbeaux. Enfin devenu un homme parmi les siens, il gagne en assurance et se voit décerner le nom de Trompe-le-Corbeau après une expédition punitive contre les Corbeaux. Mais l’ancestrale marche du monde des Pikunis est bouleversée par l’invasion de plus en plus pressante des Napikwans, les hommes blancs. Toujours plus avides de terres, les Napikwans volent les territoires des Amérindiens en échange de quelques babioles ou de promesses jamais tenues. Les sages des tribus Pikunis savent que ce combat est perdu d’avance. Malgré leur bravoure et leur force, les Pikunis ne peuvent pas lutter contre l’homme blanc ni préserver leurs coutumes. L’homme blanc, qu’il soit armé de mousquets ou d’épées, impose sur les territoires amérindiens une révolution et des bouleversements que rien ne peuvent enrayer. La plus dangereuse de ses armes est aussi la plus imprévisible, la variole. Face à la menace que représentent les Napikwans, les Pikunis sont divisés: les plus sages veulent préserver leur peuple en signant des traités des paix, les plus fougueux et les plus orgueilleux veulent se battre et rendre coup pour coup, quitte à disparaître jusqu’au dernier.
Ce roman est d’une tristesse infinie. Tout au long des pages se déroulent les rites d’une civilisation ancestrale qui brutalement se délite. Le massacre et les injustices que subissent les Amérindiens sont bien connus aujourd’hui, mais le texte les présente avec l’innocence du premier regard, l’incompréhension et la révolte des premières victimes. Dès les premières pages, on sait ce qu’il adviendra du peuple amérindien, rien de nouveau n’est proposé par l’auteur. Mais tout écrit sans haine ni colère. Ce n’est pas du défaitisme ni de l’abandon, simplement le récit triste et inexorable de la fin d’un univers. Plutôt que se révolter contre ce qui ne peut être empêché, le récit donne à entendre la voix d’un peuple qui, bien que se sachant condamné, continue à vivre selon les voies de ses ancêtres. Oui, le combat était perdu d’avance. « Ces gens n’ont pas changé. […] Seulement le monde dans lequel ils vivent a changé, lui. On peut considérer les choses de deux façons: soit c’est leur univers qui s’est rétréci, soit c’est celui que l’homme blanc a amené avec lui qui s’est étendu. Dans un cas comme dans l’autre, les Pikunis sont perdants. » (p. 258) Ils ne sont plus que « des ombres sur la terre. »
L’auteur réussit la prouesse de rendre la nature toute entière vivante, à la manière des Pikunis. Chaque élément naturel est appelé par le nom que lui donnaient les Indiens d’Amérique. L’absolue communion avec la terre n’est que poésie et spiritualité. Loin des clichés qui entourent la culture amérindienne, James Welch dépeint une pratique de vie et une approche spirituelle de toutes choses. Les médecines porteuses de magie, les sacs sacrés, les amulettes, les animaux protecteurs, les songes révélateurs sont dérisoires si on les compare aux médecines de l’homme blanc, mais dans l’univers saturé de spiritualité du peuple amérindien, ces choses font sens et appartiennent à une marche du monde unique et puissante.
Ce roman est d’une beauté infinie. Il sublime l’existence de tout un peuple, il magnifie ses croyances et ses pratiques. À parcourir ces pages, on se demande encore quelle folie a poussé les blancs à réduire un peuple si sage à l’état de prisonnier sur ses propres terres. Un texte magnifique porté par une langue majestueuse qui déploie ses trésors avec la même largesse et la même générosité que la terre-aux-mille-promesses vénérée par le peuple Pikuni.