Cet ouvrage tombe à pic. Alors que je m’apprête à m’installer en région parisienne, je sais que j’ai tout à découvrir de notre si belle capitale. Même si cet album est trop volumineux pour jouer le rôle d’un Guide du Routard utopiste, il me donne des envies de découvertes, surtout sur la Rive gauche. Ne vous fiez pas à la couverture rose fluo et argent miroir : cet écrin bling-bling cache un vrai trésor. Et, comme le dit l’auteur, « Quand l’âge d’or sera revenu, Paris aura le droit d’être moins modeste. » (p. 35)
Car il semble que Paris a vécu ses belles heures et que certains de ses plus beaux instants s’empoussièrent dans des cartons marqués d’un sceau de refus. Yvan Christ a rassemblé les projets parisiens d’urbanisation et d’architecture qui n’ont jamais vu le jour. Ils ont été refusés parce que trop chers, trop loufoques, trop grandioses, trop mégalomanes, trop fous, etc. Parfois émanation d’un puissant voulant marquer la capitale de son empreinte, parfois rêverie d’un artiste à l’imagination sans frontière, ces projets bâtissent en creux un Paris non-construit et s’inscrivent dans la veine de l’urbanisme-fiction.
Cette compilation fabuleuse présente des tableaux, des croquis, des vues parisiennes, des plans, des photos aériennes en couleur et N&B et bien des illustrations dont certains auteurs de science-fiction pourraient s’inspirer sans rougir pour créer leurs villes extraordinaires. Du XVI° à nos jours, il semble que Paris, ville de pierres et ville de lumières, reste à construire.
Tous les hauts lieux parisiens ont connu des projets d’aménagement ou de modernisation. En voici quelques-uns en vrac : le Pont-Neuf, Notre-Dame de Paris, l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet ou l’église Sainte-Geneviève, le Théâtre de l’Odéon, la Gare d’Orsay, le Palais-Bourbon, l’Hôtel-Dieu, le carrefour de la Défense, la Porte Maillot, la Place de la Concorde et de la Bastille, le Louvre, les Halles ou encore les boulevards de Montmartre, Strasbourg ou de Sébastopol. Et quid d’une autoroute sous la Seine ou d’un aéroport en plein Paris sur l’île aux Cygnes ? Ces deux derniers projets sont restés lettres mortes, mais qu’en pensez-vous ?
Avec des explications claires et courtes, Yvan Christ exhume ces projets refusés et tente de montrer tous les visages qu’aurait pu avoir Paris. La superposition donne le vertige et la capitale prend des airs de ville cubiste. Toutes ces utopies non concrétisées voulaient rendre Paris plus belle, plus fonctionnelle, plus moderne ou plus ouverte. « Les utopies des passéistes rejoignent naïvement celles des progressistes. Le Paris des utopies aurait pu être celui d’un conservatisme total. Il aurait pu être également celui d’un vandalisme implacable. La première fable n’a jamais été écrite parce qu’il est écrit qu’elle ne peut pas l’être. La seconde fable peut l’être encore parce qu’elle nous est toujours insidieusement chuchotée. J’oublierais que je suis Français, et qui plus est, Parisien, si je me laissais bercer par les illusions infécondes de la première et si je ne tenais pas compte de celles de la seconde dont la fécondité maligne est inépuisable. Face au Paris des réalités, je ne rêve plus, je dois finir mon rêve. » (p. 23)
Avons-nous échappé au pire ou au meilleur ? Nous pouvons nous interroger sur la légitimité du Paris d’aujourd’hui. Est-ce une légitimité acquise à la force des années ou une légitimité à consolider ? Certains projets non retenus n’étaient-ils pas plus parisiens que certains bâtiments et constructions qui s’élèvent aujourd’hui ? Pouvons-nous parler d’une architecture parisienne ? Autant de questions auxquelles l’ouvrage ne donne pas nécessairement de réponses, mais qui s’évanouissent devant la grandeur, la beauté et la folie de ces utopies architecturales.
Yvan Christ s’est fait chasseur de rêves pour mon plus grand plaisir et même, si je ne connais presqu’aucun des architectes ici mentionnés, j’ai déambulé avec plaisir entre les pages de ce très bel ouvrage et sur les traces d’un Paris en chantier. Il semble que les architectes, les artistes et les grands hommes ne se contenteront jamais de la ville telle qu’elle est. Revenons dans cent ans et parions que nous pourrons éditer un autre ouvrage sur les projets perdus d’un Paris sans cesse imaginé.