Mémoires de Frédéric Guillaume de Vaudoncourt, annoté par Laurent Nagy.
Tome 1 (1812-1815) Récit des derniers temps de l’empire par un général de Napoléon – Général de l’armée napoléonienne, Frédéric Guillaume de Vaudoncourt ouvre ses mémoires par des réflexions liminaires sur la littérature et les récits historiques. Entre l’honnêteté et la flagornerie, il a choisi la première et se place résolument du côté de la vérité. « Je me suis attaché avant tout à la vérité historique, et j’ai osé la dire tout entière et sans détour. » (p. 369) Le mémorialiste se veut sincère et prétend faire œuvre d’intérêt public pour restaurer l’histoire de l’Europe. « Il y aura peut-être dans ce récit quelques leçons utiles pour ceux qui pourraient encore être dupés par les sycophantes de liberté et les escamoteurs de révolutions. » (p. 171)
Le premier volume des mémoires présente les années 1812 à 1815, entre revers de fortune personnels et bouleversements historiques. « La fin de la campagne de 1812, origine des malheurs qu’a éprouvés la France, a été pour moi le temps où devait s’arrêter ma carrière jusqu’alors agréable et brillante autant qu’elle est honorable. » (p. 67) Pour lui, la fin de la campagne de Russie et la chute de l’Empire préfigurent la chute de l’Europe et le début de ses malheurs personnels. « Mon temps se passait à Pétersbourg aussi agréablement qu’il était possible, étant éloigné de ma patrie, prisonnier de guerre, et au milieu des inquiétudes que me causaient les malheurs que je savais menacer la France. » (p. 148) Loin de chez lui, le général d’Empire, observe ce qui l’entoure, étudie et écrit.
Ses mémoires ont le ton de chroniques européennes quand il écrit de longues descriptions de la cour de Catherine II de Russie ou qu’il porte un regard lucide sur la création de l’Italie. Frédéric Guillaume de Vaudoncourt est un spectateur et un protagoniste de la grande Histoire. Proscrit après la chute de Napoléon et son exil à Sainte-Hélène, il reste fidèle à ses convictions et fidèle à Napoléon. « De même que dans les temps de la grandeur de la Napoléon, me contentant de servir ma patrie sous ses auspices, on ne m’avait jamais vu au nombre de ses adulateurs, on ne m’avait pas entendu, après sa chute, chanter la palinodie et lui chercher les défauts que lui trouvaient des misérables qu’il avait couverts d’or et chamarrés de titres. » (p. 227) Mais le général est surtout attaché à la France avant d’être attaché à l’homme. Son récit est plein d’une lucidité immédiate, sans l’exaltation romantique que les historiens ont pu laisser sourdre dans leurs écrits sur l’Empire. On note surtout que le mémorialiste n’est pas tendre avec certains de ses contemporains et qu’il a une haute conscience de sa valeur. Il porte même sa condition de proscrit en étendard et rend hommage à ses compagnons d’infortune, « nous tous les proscrits pour avoir défendu notre patrie jusqu’à ce qu’on nous brisât les armes dans les mains. » (p. 339)
Tome 2 (1816-1834) Un général de la Grande Armée et les révolutions européennes – Le deuxième volume des mémoires du général Frédéric Guillaume de Vaudoncourt ne parle plus d’Empire, mais toujours de révolution. De 1816 à 1834, il sillonne l’Europe et se rend sur tous les fronts où les peuples se révoltent contre le pouvoir en place. L’ancien général d’Empire est partisan de la révolution piémontaise et espagnole. « La nation espagnole, accoutumée à ployer à la voix intérieure du despotisme, fut frappée de surprise et d’enthousiasme aux premiers rayons de la liberté. » (p. 147)
Homme éclairé, Vaudoncourt est un humaniste, un fervent héritier des Lumières. Le plus surprenant est qu’il était un républicain bonapartiste, mais une fois Napoléon exilé, il lui reste attaché tout en proclamant ses revendications révolutionnaires. Il s’oppose aux Bourbons rétablis à la tête de la France et rêve d’une Europe unifiée et débarrassée des tyrans. « Je partage l’opinion de tous les hommes éclairés sur la nécessité de rétablir ou d’assurer la nationalité de tous les peuples, et je crois, comme eux, qu’une allégeance fondée sur une communauté d’intérêts donne bien plus de force qu’une conquête, qui tend plutôt à les mettre en opposition. » (p. 14 & 15) Le mémorialiste rêve d’unir les peuples révolutionnaires d’Europe au sein de la Sainte-Alliance. Il est convaincu que sa cause est juste et il mène son combat sans relâche.
Doué d’une plume ardente et sincère, il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques et militaires. « J’ai rempli, au moins en partie et gratuitement, la tâche pour laquelle Napoléon voulait me récompenser. J’ai écrit l’histoire de ces dernières catastrophes où la trahison eut tant de part ; j’ai eu le mérite d’élever seul la voix en faveur de mes nobles et infortunés compagnons d’armes, lorsque chacun s’aplatissait devant les vainqueurs, lorsque moi j’étais proscrit et à la merci de ces mêmes vainqueurs. » (p. 363) Sa passion du rapport et du témoignage se retrouve dans ses mémoires. Ce récit autobiographique rappelle celui de Chateaubriand. Si les deux mémorialistes ne s’entendaient pas sur les mêmes opinions, ils avaient le talent de mêler leur histoire individuelle à l’Histoire de leur pays. Il doit être particulièrement intéressant de comparer ces deux récits.
Les notes de Laurent Nagy sont une mine d’informations absolument indispensable pour suivre les mémoires du général de Vaudoncourt. Le texte est dense, truffé de références, de dates et de noms. Impossible de ne pas se laisser emporter par ce récit-fleuve et par ces chroniques européennes. Ardent promoteur d’une Europe pacifiée et unie, Frédéric Guillaume de Vaudoncourt n’est pas un simple mémorialiste ou un historien, c’est un visionnaire. D’aucuns diront qu’il était utopiste, je pense qu’il était au contraire pleinement conscient des besoins des peuples européens et que certains de nos contemporains pourraient s’inspirer de ses écrits.