Libre et légère – La jeune et très jolie Georgie est une demoiselle capricieuse parfaitement au fait de ses défauts. « Moi, Georgie Rivers, une petite pauvresse et dépravée… une coquette lascive et paresseuse. » (p. 29) Amoureuse de Guy Hastings, son cousin, elle rompt pourtant leurs fiançailles et accorde sa main au vieux et riche Lord Benton. La raison financière l’emporte sur celle du cœur et Georgie sait imposer ses désirs. « J’ai tellement l’habitude d’agir à ma guise qu’il serait périlleux de vouloir m’en empêcher. » (p. 38) Rapidement, Lady Benton devient la coqueluche de Londres : jeune, jolie, riche, impertinente, elle impose partout son caractère frivole. « Georgie possédait à la perfection le don d’être « légère ». Elle n’était jamais brutale, jamais bruyante, jamais désagréablement masculine ; mais elle avait une sorte d’impertinence irrésistible qui débordait les limites admises pour le comportement d’une Lady. » (p. 57) On aurait pu croire qu’elle serait heureuse, mais le calcul financier se révèle moins lucratif que prévu et la lassitude et le remords l’emportent sur le devoir conjugal.
L’amant évincé fuit Londres sur les conseils d’un ami et se réfugie en Italie où il s’adonne à la peinture, l’autre passion de son existence. « À quoi vivre, sinon pour l’art ! » (p. 53) Il y rencontre les Graham dont la fille, Madeline, apaise la douleur de son cœur brisé. Un décès et une maladie le rapproche in extremis de Georgie. Mais les retrouvailles ne sont que celles de deux cœurs brisés qui ont laissé passer le bonheur.
Edith Wharton m’avait enchantée avec Chez les heureux du monde. Même effet avec ce très court roman, dont le sous-titre indique qu’il s’agit d’un « conte moral », qui traite de « l’autorité des maris et la soumission des épouses » (p. 59) dans l’aristocratie londonienne du début du XX° siècle. Les relations homme/femme ne sont pas le principal ressort de ce texte : on assiste aussi au combat d’une âme qui s’est perdue en faisant taire son cœur. Georgie, bien qu’enchanteresse et ensorcelante, est profondément agaçante. Sa frivolité et la légèreté avec laquelle elle traite les choses du cœur sont directement opposables à la fraîcheur candide et pure de la jeune Madeline Graham, amoureuse des fleurs. Mais Georgie gagne en humanité à mesure que l’écorce de futilité dont elle avait entouré ses actes se craquèle. L’on découvre alors une jeune femme plus sensible que libre et plus grave que légère.
Le texte a des airs de pièce de théâtre, c’est un drama-in-progress pourrait-on dire à l’anglaise. Les effets d’annonce, les entrées et les sorties et certaines descriptions aux allures de didascalies font du roman une belle matière à représentation. C’est toute la petite scène de l’aristocratie londonienne qui s’agite et, finalement, ce roman est une autre fable du monde. Les passions y sont violentes mais bien éphémères. Qu’une femme soit libre et légère, n’est-ce pas ce qui peut lui arriver de mieux, à condition que le bon compagnon suive ses pas ?
Expiation – Mrs Fetherel a publié son premier roman. Le titre, Libre et légère, fait jaser. Mais aux dires des critiques, le contenu est loin d’être sulfureux. Pourtant son auteur se targue d’avoir fait un portrait au vitriol d’une certaine tranche de la société. « Je n’ai pas pris de gants pour traiter le sujet. J’ai appelé un chat un chat. » (p. 158) Mrs Fetherel se flatte même d’être « un auteur qui a eu l’audace de dénoncer le vide des conventions sociales. » (p. 159) Qu’est-ce donc qui passe pour une bluette dans ce roman qui se voulait si féroce ? L’oncle de Mrs Fetherel, l’évêque d’Ossining, a également des ambitions littéraires et il estime que le scandale lui apportera la reconnaissance : « ma meilleure chance pour un succès populaire serait que mon livre soit attaqué par la presse. » (p. 164) Et cet oncle bienveillant a d’autres tours dans sa manche pour aider son propre livre, quitte à nuire à celui de sa nièce.
Mais Mrs Fetherel ne cherchait pas tant le succès populaire qu’une réaction de son époux, béat d’admiration devant tous ses talents. Lassée d’être le centre de toutes les meilleures attentions de son mari, elle cherchait dans l’acte d’écriture un moyen de scandaliser son époux et de faire amende honorable. « Elle éprouvait un certain plaisir à la perspective d’une situation qui justifierait la plus sévère des expiations. » (p. 170) Même ce plaisir lui est refusé et l’auteure qui se voulait sulfureuse n’est en fait qu’une femme abonnée aux bonnes œuvres.
J’apprécie déjà sans réserve Edith Wharton, mais quand elle cite Huysmans, elle ne peut que gagner les plus hautes places de l’estime que je porte aux meilleurs auteurs ! Pour parler spécifiquement de ce second texte, pas de doute, l’auteure s’y connaît pour manier le cynisme. C’est ici la petite bourgeoisie new-yorkaise qui est tournée en ridicule. Et plus précisément, Edith Wharton s’en prend à ceux que le désir d’écrire chatouille à un tel point qu’ils sont prêts à tout pour s’imposer au détriment des autres aspirants écrivains.
Que le titre du roman publié par Mrs Fetherel soit exactement celui du texte qui précède n’a rien d’un hasard. Edith Wharton règle ses comptes avec les critiques et consorts. Mais elle dresse également un portrait assez misérable des écrivains débutants, en particulier des femmes qui prennent la plume. La postérité et les années l’ont suffisamment prouvé : Edith Wharton avait du talent. Dommage que ses contemporains n’en aient pas tous été convaincus.