Racho est un artiste au génie certain : il transforme de vieux métaux en sculptures époustouflantes qui laissent souvent perplexes. « Je n’entrais dans aucun moule d’artiste, pourquoi entrer dans un moule si l’on n’est pas mou et laid ? » (p. 20) Il tire son talent de son ancêtre : en effet, son aïeule a eu une brève aventure avec Arthur Rimbaud. Et Racho est obsédé par cette glorieuse ascendance. « Je menais une vie paisible avant de répondre à l’appel du large pour rejoindre le pays de cet ancêtre. » (p. 18) Il décide de quitter le golfe de Guinée et son épouse Rahel pour atteindre la Rhénanie et se recueillir sur la tombe du fulgurant poète. Après un voyage clandestin sur un navire en partance pour la France, il tente de franchir la frontière allemande, mais sa tentative échoue. Racho dépose alors une demande d’asile politique et entame une nouvelle odyssée africaine, celle de l’immigré en terre d’accueil.
En voulant retrouver les racines de son arbre généalogique, Racho a scié la branche sur laquelle il était assis. Déconnecté de son ascendance rimbaldienne, il n’a plus que sa solitude et une identité à reconstruire : est-on quelqu’un sans ses ancêtres ? Peut-on se couper de sa terre d’origine ? De Rimbaud à Racho, on fait le chemin à l’envers entre l’Afrique et l’Europe et le jeune homme ne comprend pas cette fascination pour le continent noir. « Cette terre était-elle donc si précieuse que les Occidentaux qui la quittaient pouvaient en éprouver le regret ? » (p. 91) Racho n’est plus de là-bas et pas vraiment d’ici. Ou peut-être est-ce le contraire. En tout cas, le descendant africain d’Arthur Rimbaud s’est perdu en chemin.
Racho a confié son histoire à un dramaturge qui en a fait une pièce intitulée Le train pour Bellevie. Sur le quai, impatients, l’Immigré, le Clochard, le Suicidaire, la Prostituée et d’autres personnages attendent le train du bonheur. Les actes s’intercalent avec le récit et Racho livre ses impressions sur cette pièce qui allégorise sa vie. « Si le rôle qui m’était dévolu fut juste de féconder son imagination, car c’était à lui de donner vie, étais-je prêt à assumer de sa part une naissance monstrueuse qu’elle que fut la beauté artistique ? » (p. 26) J’ai beaucoup aimé cette longue réflexion sur l’écriture, la transcription et la création.
La pluralité d’existences de Racho se décline en une pluralité littéraire : le texte est tour à tour roman, témoignage, pièce absurde ou triste vaudeville. Victor Kathémo déploie une langue dense, très lente, parfois solennelle. Le récit exalte la dernière dignité qui reste à Racho, celle de disposer de son histoire, même si un autre s’en empare pour la sublimer.
Comment remercier assez mon amie pour ce cadeau ! Moi qui suis souvent perplexe devant la littérature africaine, j’ai découvert un texte d’une force étonnante où résonne le ton des conteurs noirs des siècles passés, le tout porté par une modernité bouleversante : même s’il court après son passé, Racho est un homme d’aujourd’hui. Et Victor Kathémo est assurément un auteur qui tient sous sa plume la littérature de demain.