Bandes dessinées de Laurent Verron (dessin) et Yann Le Pennetier (scénario).
En ce week-end de Pâques, je vous propose une lecture ecclésiale. Accrochez-vous à vos chapelets, ça va swinguer !
Papous – 1929, en Nouvelle-Guinée, le prêtre missionnaire Odilon Verjus vit carabine à la main au milieu des Papous. Le jeune Laurent de Boismenu, missionnaire du Sacré Coeur d’Issoudun et frais émoulu du séminaire, le rejoint dans la jungle guinéenne. La rencontre entre les deux hommes d’Église se déroule sous de sombres hospices : l’avion de l’héritier de la famille Rockfeller a disparu et l’héritier manque à l’appel. Odilon et Laurent s’aventurent sur le territoire des Mundugumor, une tribu cannibale pour tenter d’en apprendre davantage. Ils y rencontrent Margaret Mead, jeune femme libérée et accessoirement ethnologue qui écrit une thèse sur les moeurs sexuelles en Océanie. Nils, le « fils adoptif » d’Odilon, s’éprend d’une prisonnière des Mundugumor et s’enfuit avec elle. Cette fugue amoureuse révèle la triste fin de l’héritier américain et permet enfin à Odilon d’en découdre avec un saurien affamé. C’est au terme de l’album que Laurent se rappelle sa mission première : remettre à Odilon un courrier du Vatican. Le vieux loup de jungle est convoqué au Saint-Siège !
Odilon Verjus est un prêtre pas banal : il jure, blasphème et chante plus de textes païens et paillards que de chants grégoriens. En soutane et godillots, il tente d’évangéliser les Papous. Mais il est rompu aux coutumes locales et semble un piranha dans l’eau au milieu des « sauvages » à demi nus. « Après vingt et un ans de sacerdoce chez les Papous, vous découvrirez comme moi que le latin se prête davantage à l’escalade de la basilique Saint-Pierre qu’à celle de la jungle de Nouvelle-Guinée. » (p. 18) Pas de doute, Odilon Verjus est un curé dont la langue traîne partout sauf dans sa poche.
Si les romans ont leurs notes de bas de page et leur index de termes complexes, cette bande dessinée n’est pas en reste. Odilon et Laurent usent à tout-va de citations latines, pieuses ou non (plutôt pas d’ailleurs…) Si les traductions sont d’abord fidèles, peu à peu le « traducteur » prend des largesses et sa voix s’apparente à celle du curé débonnaire. « Taedium vitae » devient « Zutos flutam crottam » (p. 47) et tout le monde comprend très bien ! On a également droit à des remontrances : l’astérisque nous renvoie à « Encore ! C’est à désespérer ! Que fichiez-vous en classe ? » (p. 28) ou tout simplement à « Fleblebleble… » (p. 35) Enfin, des expressions toutes françaises passent à la moulinette latine et repassent par le traducteur : « Pedibus cum jambis baby » devient « Foutons le camps, mon enfant ! » (p. 31) Pas de panique : il est totalement inutile de parler latin pour rire aux éclats devant cette mixture de latin de cantine ! L’image plonge le lecteur dans une jungle étouffante : les couleurs sont appuyées et l’espace est saturé. Un pet de none ne passerait pas ! Ce premier tome des aventures d’Odilon et Laurent est tout simplement jubilatoire. Hosannah mes frères !
Pigalle – Odilon se voit confier une mission qui l’entraînera en territoire plus hostile que son diocèse guinéen de Popolé : le Vatican l’envoie à Pigalle retrouver des « reliques » dérobées par une certaine Herminie. Dans les rues d’un Paris canaille, Odilon et Laurent croisent une certaine môme Piaf, évoquent une autre Casque d’Or, vont boire quelques ballons de rouge au Chat Noir et parcourent les allées du Père Lachaise. Si le dialecte papou est assez inintelligible, la langue verte est également obscure. Mais Odilon a un passé peu reluisant et une connaissance du tapin plutôt suspecte pour un homme de Dieu. Son argot et ses suggestions choquent mêmes les endurcies du trottoir. « Après les morues, les maquereaux, les poulets, les lucioles, les boeufs et les cochons… les poules à présent… C’est plus Pigalle, c’est l’arche d’Odilon. » (p. 30)
Laurent se demande vraiment qui est cet acolyte en soutane qu’il a rencontré dans la jungle. Certaines pratiques et relations laissent à penser qu’Odilon s’est frotté d’un peu trop près aux charmes féminins et aux boxons parisiens. « Odilon, un doute m’assaille ! Croyez-vous en Dieu ? » (p. 27) Mais droit dans ses godillots qui ont fait la Nouvelle-Guinée, Odilon reste un homme d’Église qui sait rassembler son troupeau :« Mon enfant, je vois une étincelle de foi dans votre pupille atone engorgée par l’alcool. » (p. 40) C’est en usant de telles circonvolutions qu’il rassemble des informations sur les fameuses reliques, bijoux de la famille de Dieu…
Cet album regorge de références parisiennes en tout genre, qu’elles soient musicales, picturales, littéraires ou cinématographiques. À en croire les planches, c’est Odilon qui a inspiré à la môme Piaf un de ses textes les plus connus : « Il était grand, il était beau, il sentait bon l’encens chaud son presbytère. Il m’a confessée toute la nuit mon missionnaire. » (p. 15) Si ça ne vous dit rien, je ne peux pas grand-chose pour vous… Le Paris des années 1930 est là, sous nos yeux et nos oreilles. Reprenez-en une bouffée, c’est un fumet divin ! L’humour se fait canaille, à la façon d’un Gavroche. La petite voix des notes de bas de page est même carrément désinvolte. En réponse à une astérisque, elle indique : « Authentique, quoique tout le monde s’en foute ! » (p. 4) Ne cherchez pas ailleurs une paire d’acolytes ensoutanés plus rigolarde, vous n’en trouverez pas ailleurs ! Foi de lectrice !
Eskimo – Odilon et Laurent se gèlent le crucifix sur la banquise ! Monseigneur Golias les a envoyés résoudre le meurtre de deux missionnaires par une tribu chamanique et, accessoirement, lutter contre un complot parpaillot. Les pasteurs protestants tentent en effet une percée évangélisatrice en Arctique. Avec l’aide d’un inuit à la peau étrangement foncée, Odilon et Verjus traversent la banquise. Ils croisent brièvement Leni Riefenstahl et l’on entend parler pour la première fois d’un certain Adolf.« Adolf, c’est un metteur en scène allemand ? / Le meilleur… Le public l’adore. Son seul rival, c’est Chaplin. » (p. 33)
Loin de leur chère jungle guinéenne, Odilon et Laurent font toujours des rêves pas très catholiques où chacun est confronté à son passé, plus ou moins pieux. En plein blizzard, Laurent fait preuve d’un bon sens que le Vatican n’approuverait certainement pas :« L’apparition d’une nouvelle morale et la notion bouleversent leurs coutumes… Ils étaient d’une innocence fort paillarde avant notre venue. » (p. 10) Entre phoques, morses et ours blancs, les dangers guettent les deux missionnaires qui, à grand renfort de poings et de godillots fourrés, savent se frayer un chemin dans les contrées hostiles. Pendant ce temps-là, au Saint-Siège : « La santé du souverain pontife est fort vacillante et je ne veux pour rien au monde manquer la petite sauterie entre copains pour l’élection du prochain ! » (p. 13) dixit Monseigneur Golias.
Le troisième album est moins drôle que les précédents. Cela tient peut-être à l’environnement. La blancheur renforce l’impression de froideur et la sauce prend moins bien. Mais quelques perles se dissimulent au coeur des pages. On apprend notamment que le rosaire est une unité de temps vaticane. Qu’à cela ne tienne ! Combien de rosaires avant le prochain album ?
Adolf – Berlin en 1932. Odilon et Laurent doivent retrouver Leni Riefenstahl pour lui proposer de réaliser un film à la gloire du Vatican. Mais Adolf Hitler, battu aux dernières élections, a eu une idée approchante. Il veut organiser son suicide et sa résurrection sous l’oeil de la caméra experte de Leni. Et pour parachever le grandiose de son exhibition, il n’hésite pas à se glisser dans de beaux draps. Laisser le Saint Suaire aux mains d’Adolf et de son éminence grise Goebbels est inimaginable. Nos deux soldats du Christ, aidés par la jolie Joséphine Baker, mettent au point un stratagème pour éviter le sacrilège et pour quitter l’Allemagne sain(t)s et saufs.
La verve truculente des deux premiers albums peine à s’imposer. Les situations sont comiques, mais moins hilarantes. Les notes de bas de page sont moins nombreuses et l’humour se déplace dans les phylactères. Les chuchotements (munissez-vous d’une loupe) sont en fait des ragots ou des anecdotes sur le monde de la bande dessinée. Le vent tourne dans cet album : on abandonne un peu la bonhomie extravagante des débuts pour prendre en considération la montée des périls totalitaires. Au détour d’une planche, on croise le peintre George Grosz et ses toiles qui ont fait scandale. Si le ton est moins bouffon, il n’en devient que plus féroce.
Joséphine Baker n’adopte pas des enfants, mais elle s’entoure d’une ménagerie dangereusement exotique. Libérée et coquine, elle ne peut pas vraiment s’entendre avec Leni Riefenstahl. Si l’affrontement reste larvé, l’image s’emploie à faire état des différences entre l’Allemande acquise aux idéaux aryens et l’exotique beauté acquise aux plaisirs et à la liberté.
Breiz Atao – Une cérémonie druidique tourne mal à Saint-Tiloë. On parle d’un sanglier maléfique et d’un druide noir. Renouveau du paganisme ou terrorisme des indépendantistes bretons qui se regroupent au son de « Breiz Atao » ? Alors que des bombes explosent un peu partout, Odilon retrouve un ancien camarade de tranchées, prêtre de la paroisse sinistrée. Entre chasses à courre, piquants d’oursins et bal costumé, les deux missionnaires tentent de démêler le vrai du faux.
Modernité et religion ne semble pas faire bon ménage, surtout en plein coeur d’une Bretagne bigote et bigoudaine. « Parfois j’ai l’impression de donner du confiteor aux cochons. » (p. 25) se lamente le curé dans sa grande église toute neuve. Tous les cultes sont dénoncés par l’organisation « Breiz Atao » : les dolmens explosent et les églises sont taguées. Gui et goupillon ont du souci à se faire devant la puissance des bombes ! Alors que Joséphine Baker s’affiche en grand sur des panneaux de réclame publicitaire, Odilon sent se réveiller « un très ancien fond de misogynie atrabilaire » (p. 27) Plus les filles sont jolies, plus elles sont chipies. Et Bécassine est loin d’être l’archétype de la Bretonne ! Retour à un humour plus léger avec cet album. La veine régionaliste est pleinement exploitée. Le patois s’installe dans les planches et ce volume sent bon le varech !
Vade retro Hollywood ! – Mandatés par le Vatican pour veiller à la bonne moralité du dernier film des Marx Brothers, Odilon et Laurent voient en Hollywood les nouvelles Sodome et Gomorrhe ! Un des frères Marx a contracté une dette faramineuse auprès de Bugsy Siegel, très habile au tir à la sulfateuse. Entre deux scènes hérétiques menées par Groucho de Nazareth, on apprend que l’adorable Shirley Temple a été kidnappée. Joséphine Baker crève l’écran en Vierge Marie surréaliste et il semble que les deux missionnaires ne sont pas prêts de reposer leurs godillots chez les Papous !
Ce sixième volume souffre nettement d’une surabondance de références et d’allusions : cinéma, littérature, peinture et autres arts sont certes à l’honneur, mais dans un tel fouillis qu’il est difficile de ne pas perdre le fil de l’intrigue. Charlie Chaplin croise Randolf Hearst ou Salvador Dali. Odilon partage une fameuse partie de pêche à l’espadon avec Hemingway quand il n’est pas trop occupé à jouer les bikers du Christ. Cela dit, certaines références sont assez fines et il faut se pencher sur les planches pour les déceler. Une boutique de fleurs porte le nom de The Black Dahlia et est gérée par Ellroy & Mother. Efficace et bougrement pertinent !
Dans cet album, l’image rend hommage à l’image peinte, filmée ou photographiée. Les dessins restituent à merveille l’ambiance des années 1930 dans un Hollywood aux ambitions pharaoniques. L’arrivée des deux missionnaires, loin d’être la parabole du chien dans le jeu de quilles, tombe à l’eau. Dans la veine de l’arroseur arrosé, Odilon et Laurent se font prendre à leur propre piège de bondieuserie. Odilon, sous sa barbe hirsute et ses sourcils broussailleux, flanqué de Laurent, toujours aussi niais à ses heures perdues, peine à garder la prestance des premiers tomes. S’il était un brin scandaleux au début, il n’est plus que vaguement blasphématoire et carrément caricatural.
Folies Zeppelin – À bord d’un zeppelin allemand à destination de Rio de Janeiro, Odlion et Laurent doivent convaincre les autorités brésiliennes de ne pas s’acoquiner avec les nazis. La délicieuse Joséphine et sa panthère Lulu sont du voyage. Pour occuper les longues journées à bord, Odilon partage la compagnie d’Agatha Christie, romancière à succès, et se délecte de « Murder Parties ». Jusqu’au moment où de vrais meurtres sont commis. Le dirigeable transporte une dizaine de nazis qui veillent avec férocité sur un coffre contenant un mystérieux traité. Odilon, aidé d’Agatha, Laurent et Joséphine, mène l’enquête à bord du zeppelin qui est un gros ballon prêt à exploser !
Ce septième volume est une parodie des Dix petits nègres d’Agatha Christie. Avec un suspens digne d’un Hitchcock croisé avec un Chaplin, l’enquête à bord du dirigeable est plus bouffonne que dramatique. La conclusion de l’album, franchement (et enfin) paillarde redonne un peu de vigueur au personnage d’Odilon qui retrouve le lustre premier de sa soutane de curé décomplexé. Tout en piques et ironie acerbe, on égratigne à l’envi l’image du Führer et de ses sbires attardés. Joséphine, toujours aussi écervelée et volage, laisse deviner ses futurs talents de résistante. Il n’y a pas de petit combat !
Nos deux soldats du Christ sont encore loin de leur chère Papouasie et il y a fort à parier que de prochains albums devraient paraître. Mais quand ? Le septième date de 2006. Comme tout bon millésime qui se respecte, il faut laisser vieillir les bonnes bouteilles, mais point trop n’en faut !
Cette série joue sur la corde sensible de la religion. Les Français, bouffeurs de curés et/ou grenouilles de bénitier, sont un public idéal pour ces aventures missionnaires. L’humour, souvent sur le fil, secoue les aubes poussiéreuses et redonnent au clergé des lettres de noblesse trempées dans le fluide glacial. Même si les derniers tomes sont moins réussis que les premiers, cette série est une réussite. De références en clins d’oeil, Yann et Verron dépeignent à merveille les années 1930.