1940. Nina, Paul, Oscar et Gaby sont quatre amis, quatre Parisiens artistes qui, chacun à leur manière, ont l’honneur des affiches. Mais les paillettes ne font pas le poids face aux bombes. L’Allemagne vient d’attaquer la France et partout, c’est l’exode. « Je vois des gens affligés d’être des émigrés dans leur pays. » (p. 205) Pour les quatre inséparables, le salut est à New York. Mais avant l’Amérique, il y a toute la France à traverser à bord d’une Bugatti qui n’ira pas plus loin que le Périgord. Le quatuor vient bousculer la vie recluse d’Hélène et de ses enfants, Diane et Maurice, malades d’attendre des nouvelles du front. L’espace de quelques jours, tout ce monde va cohabiter et s’aimer dans le domaine du Paradis. « Nous avons formé une famille dénuée du moindre lien de parenté, unie par la simple joie d’être joie d’être ensemble. » (p. 158) Parce que la guerre, même inévitable, peut reculer un instant si on choisit de ne pas y penser pour célébrer la vie, une fête d’anniversaire va être l’occasion de créer des souvenirs précieux, mais aussi d’apprendre à grandir.
2011. Maurice est un vieux monsieur qui a choisi de se taire parce qu’il oublie comment parler. « L’amnésie des mots, c’est moche. » (p. 15) Nathalie, son auxiliaire de vie, aime écouter les vieux messieurs raconter leur histoire et ce n’est pas le caractère bougon de Maurice qui va l’arrêter. « Je l’imaginais snob, il me croyait illettrée. Idéal pour nouer le dialogue. » (p. 26) Pour sortir Maurice de son silence, Nathalie ouvre une discussion en couleurs sur une ardoise blanche. Le vieil homme est conquis et lui met entre les mains le journal de jeune fille de sa sœur, agrémenté de ses propres réponses. D’auxiliaire, Nathalie devient lectrice de vie et elle raconte à Maurice sa propre histoire, celle qui échappe de la mémoire du vieil homme. « Racontez-moi mon enfance, Nathalie. » (p. 41)
Sur deux époques, l’auteur remonte l’Histoire pour créer son histoire. Avec la mémoire de Maurice comme palimpseste dont il soulève délicatement chaque feuille de papier de soie, Charles Dellestable signe un premier roman très réussi. J’ai particulièrement apprécié l’aspect polyphonique et multisupport du texte, comme si une seule voix ne suffisait pas à tout dire. L’histoire est grave, c’est certain : qu’il s’agisse de l’exode de 1940 ou de la mémoire en fuite de Maurice, il est question de naufrage. Mais grave ne veut pas dire pathétique, tout comme nostalgique ne veut pas dire triste. L’auteur évite ces écueils et manie avec grâce un humour acidulé et pétillant comme un bonbon d’antan. J’ai une tendresse toute particulière pour le personnage de Gaby, artiste fantasque qui préfère faire comme si plutôt que faire avec.
Pour ce touchant premier roman, Charles Dellestable a reçu le prix Nouveau Talent de la fondation Bouygues Telecom. J’ai eu la chance d’assister à la remise du prix jeudi matin. Quelle émotion quand l’auteur a reçu le prix et quand il a partagé avec nous une lettre que son héroïne lui a envoyée (si si, je vous promets) ! J’ai demandé à l’auteur de dédicacer ce roman à une personne qui m’est chère et j’espère que ce roman lui plaira autant qu’à moi !