Lors d’un voyage à Tel-Aviv, l’auteur a rencontré l’héroïne du roman. Pendant toute une nuit, elle accepte de lui raconter son histoire.
Eva Goldski a été arrachée très tôt à son pays. De camp d’internement en camp de déportation, elle est devenue apatride. Quand elle attire le regard d’Éric de Maubert, comte jurassien et officier français, elle sait qu’elle tient sa chance. Enfin, elle sera riche, elle connaîtra la sécurité et elle pourra se venger d’avoir dû se courber devant plus fort qu’elle.
Hélas, le prince charmant n’est pas si riche qu’il semblait et le château n’est finalement qu’une gentilhommière un peu cossue qui menace ruine. Ne reste du prestige de la Tilleraye qu’un souvenir et des espoirs déçus. « Eva, comme tous ceux qui n’ont jamais rien possédé et qui n’ont connu que le dénuement total, avait une soif inextinguible de luxe… Un certain luxe qui ne pouvait se traduire, pour une échappée des camps, que par un confort ultra-moderne et des éclairages tapageurs. Comment, elle qui ne l’avait pas connu, aurait-elle pu goûter la grandeur nostalgique d’un Passé ? » (p. 57)
L’accueil réservé par Adélaïde, la mère d’Éric, est bien loin d’être chaleureux pour cette fille pauvre, sans lignée et juive. Or, la jeune épouse est bien décidée à faire valoir ses droits et à s’imposer sur le domaine. « Eva attaquerait de toute sa jeunesse douloureuse, Adélaïde se défendrait de toute son expérience tyrannique. » (p. 51) Séduisante, très intelligente et dotée d’un fort instinct de conservation, Eva sait nouer des relations intéressées et faire rentrer l’argent nécessaire à la rénovation du château et à un train de vie très élevé. Et surtout, Eva se constitue un trésor personnel : elle a trop manqué pour prendre le risque de ne rien avoir. Et tant pis si les paysans parlent dans son dos et si l’aristocratie locale répugne à visiter le château de la Juive : Eva est enfin à l’abri du besoin. Hélas, sa soif de possession la perdra.
Et Éric dans tout ça ? Fou amoureux de sa femme, complètement sous son emprise, il est bien incapable de percer à jour cette femme vénale et manipulatrice. « Pauvre Éric de Maubert qui n’avait jamais très bien compris Adélaïde et qui ne connaîtrait sans doute pas la véritable Eva ! » (p. 172) Mari cocu, mené par le bout du nez, il est le parfait dindon de la farce. Jusqu’à ce qu’une énième manipulation d’Eva échoue.
Relire ce roman est un vrai bonheur ! Il fait partie des rares textes non scolaires que j’ai lus pendant mes années de prépa. J’en gardais un souvenir ému d’évasion et de plaisir pur et je suis d’autant plus ravie d’avoir retrouvé le même plaisir. Le récit nocturne d’une Eva repentante a quelque chose des contes des mille et une nuits où les femmes sont toujours plus fines que les hommes, sachant user de leur charme pour survivre. Précision, ce roman n’est pas de la très grande littérature, il a même un peu vieilli, toutefois, ce portrait de femme déterminée et aventurière se lit très bien. N’hésitez pas !