Roman de Catherine Mavrikakis.
Le 20 octobre 1989, Smokey Nelson assassine un couple et leurs deux enfants. Mais Sydney Blanchard est arrêté, jugé et incarcéré à sa place. Pendant 19 ans. « Les erreurs judiciaires manquent pas dans ce pays. Du moment qu’ils ont un négro en prison, ils classent l’affaire ! On s’en fout si c’est lui ou pas, le meurtrier ! Faut plaire au peuple ! » (p. 29) C’est sur la tombe de Jimi Hendrix que Sydney commence une longue imprécation, s’adressant à la fois à sa chienne Betsy, à lui-même, à Smokey Nelson et à un interlocuteur indistinct.
Ce matin-là, c’est Pearl Watanabe qui a découvert les corps dans la chambre d’hôtel. Traumatisée par cet évènement, elle a choisi de retourner sur l’île de sa naissance et c’est à Honolulu qu’elle a tenté d’oublier le drame. En vacances à Atlanta chez sa fille, Pearl ne s’est jamais vraiment remise de la macabre découverte. « Et voilà dix-neuf ans que Tamara se comportait comme si rien n’avait eu lieu, comme si sa mère lui appartenait encore, comme si sa mère ne faisait pas partie des assassinés du 20 octobre 1989 ! Pearl n’était jamais revenue de ce matin magnifique de l’automne 1989. Elle n’était jamais sortie de la chambre 55 du motel Fairbanks dans laquelle elle avait découvert les corps morts, mutilés. » (p. 161) Pearl est une victime, mais Tamara en est une autre puisque, en quelque sorte, elle a perdu sa mère.
Il s’appelle Ray Ryan. Il était le père de la femme assassinée. Il quitte son domaine en Géorgie pour assister à l’exécution de Smokey Nelson. Son voyage est accompagné par la voix de Dieu qui lui affirme qu’il trouvera enfin la paix dans la vengeance. « Demain, à cette heure-ci, tu le sais, l’impie sera mort. » (p. 81) Dieu prononce un prêche âpre, sans miséricorde, si ce n’est pour le père qui a perdu sa fille.
Il y a un style pour chacune des voix. Sydney éructe à la face du lecteur. L’histoire de Pearl est racontée à la troisième personne, comme si elle n’était encore et toujours qu’un témoin sans aucune prise sur les choses. Quant à Ray Ryan, c’est Dieu qui lui parle. À moins que ce soit Ray qui se parle comme il aimerait que Dieu s’adresse à lui. Chaque voix a droit à trois chapitres. Ce triple tryptique est porté par une trinité qui n’est pas bienveillante. Comment pourrait-elle l’être ?
L’ultime chapitre appartient à Smokey Neslon. Tout a été dit par les trois narrateurs précédents et l’heure de l’exécution a sonné. D’une façon ou d’une autre, Smokey Nelson a bouleversé les vies des trois narrateurs. Ils sont trois victimes collatérales de la tuerie. Et l’on voit les dégâts dans ces trois existences qui ont continué malgré tout, marquées du sceau de la mort et de la violence. Smokey espère mourir sereinement, sans peur. Surtout qu’il voit la mort comme la fin de l’agitation et non comme une punition. « La mort a quelque chose de terrifiant, mais aussi de délicieusement maternel. Elle met fin à tous les soucis. » (p. 318) Pendant les nombreuses années de sa captivité, Smokey Nelson a étudié la façon dont il serait exécuté. « On laisserait faire le boulot à des techniciens inexpérimentés qui parfois ne distinguaient pas bien un muscle d’une veine. En effet, l’éthique médicale interdit à tous ceux qui ont fait le serment d’Hippocrate toute participation à un quelconque arrêt de la vie, à un assassinat. Mais un docteur serait là et viendrait bien vérifier la mort de Smokey. Il remplirait la déclaration de décès et cocherait la case homicide pour indiquer la cause de la mort. L’exécution capitale pour un médecin ou un esprit rationnel reste un meurtre. » (p. 320 & 321) Et voilà comment, au bout du roman, l’histoire n’est plus une accusation, mais un plaidoyer contre la peine de mort. Surprenant. Dérangeant.
Si le dernier chapitre m’a bouleversée, je me suis ennuyée pendant tout le reste du roman, surtout dans les chapitres accordés à Pearl. Un grand bravo à Catherine Mavrikakis qui donne à chaque personne une langue différente et un style unique. Mais cela n’a pas suffi à me séduire. L’histoire est difficile parce que vraie. Le titre ne dissimule rien de l’issue de la vie de Smokey Nelson. Mais contrairement au Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, je n’ai éprouvé aucune compassion pour cet homme qui espère juste que sa mort se passera bien. Bref, c’est une lecture manquée.